Accueil » Malaise en dialyse

MALAISE EN DIALYSE

INTRODUCTION

 

À la mi-novembre 2021, j’ai intégré la Clinique de X. comme stagiaire en psychologie clinique sous la responsabilité de Madame P., unique psychologue de l’établissement. Avec deux autres étudiants de master, nous avions pour tâche de répondre à une demande de prise en charge des patients hémodialysés, formulée par la cadre de service Madame A. Cette dernière avait également évoqué la nécessité de sensibiliser le personnel soignant sur les conséquences psychologiques des maladies chroniques.

La Clinique de X. propose une offre de soin très variée. Elle dispose donc, comme évoqué, d’un service de dialyse et de néphrologie, mais également d’une maternité, d’un service de médecine générale avec des prises en charge de fin vie. Plusieurs spécialistes y officient également et proposent de la chirurgie bariatrique et digestive, de la cardiologie, de la chirurgie esthétique, de l’orthopédie ou encore de la pneumologie.

Le contenu de ce mémoire se rapportera principalement à l’hémodialyse et par extension aux maladies rénales chroniques (MRC). Selon le Vidal, « l’insuffisance rénale chronique est la diminution progressive et irréversible de la capacité des reins à assurer leurs fonctions de filtration du sang, de régulation de sa composition et de sécrétion d’hormones. Cette lente détérioration du fonctionnement des reins conduit à diverses complications, dont l’accumulation des déchets du métabolisme et de l’eau, l’anémie et les troubles cardiovasculaires. L’insuffisance rénale chronique est le plus souvent la conséquence d’une autre maladie, en particulier du diabète et de l’hypertension artérielle. »[1]. On distingue cinq stades dans l’insuffisance rénale déterminés par le potentiel de filtration des reins aussi appelé taux de filtration glomérulaire. Au stade 5, les organes ne sont plus fonctionnels et le patient doit en subir l’ablation. Cette intervention chirurgicale est nommée néphrectomie. A ce stade terminal, seul deux protocoles médicaux peuvent maintenir le malade en vie : la dialyse ou la greffe.

Dans le cas d’une insuffisance rénale, les objectifs de la dialyse sont d’optimiser l’état fonctionnel du patient, son confort et sa pression artérielle, la prévention des complications de l’urémie, et la prolongation de la survie du malade. Bien que je n’aie suivi que des patients hémodialysés, il me semble important de mentionner qu’il existe actuellement trois types de dialyses. L’hémodialyse demeure la plus répandue. Dans un rapport comparatif de 2017, la haute autorité de santé (HAS), la décrit comme une « méthode permettant des échanges à l’extérieur du corps entre le sang et un liquide (dialysat) à travers un filtre artificiel dénommé dialyseur. Elle nécessite une machine (appelée générateur) alimentée par une eau traitée. Ces échanges se font grâce à la mise en place d’une voie d’abord vasculaire permettant le branchement du générateur, comme : une fistule artério-veineuse créée par voie chirurgicale (communication permanente entre une artère et une veine le plus souvent au niveau de l’avant-bras) ou un cathéter tunnellisé dont une des extrémités est placée dans une veine tandis que l’autre ressort sur la peau »[2]. L’hémodialyse est intermittente à raison de séances de quatre heures trois fois par semaine. La dialyse péritonéale utilise les capacités de filtration du péritoine. Les échanges ont lieu, dans ce cas, à l’intérieur du corps du patient. Le dialysat est introduit au moyen d’un cathéter de dialyse souple et permanent placé par voie chirurgicale dans l’abdomen. La dialyse péritonéale est quotidienne ; les douze heures hebdomadaires étant répartis dans des cycles plus courts le jour et la nuit. Pour finir, l’auto-dialyse propose au patient formé de réaliser lui-même son traitement par hémodialyse à domicile ou en centre.

Lorsque j’ai pénétré pour la première fois dans la service de dialyse, situé au niveau moins un de la clinique, j’ai été frappé par l’ambiance pesante. Je pourrais décrire l’endroit comme un grand espace avec un poste de soin en son centre. La luminosité est faible car les fenêtre sont protégées par des stores ; sans doute pour protéger l’intimité des malades. J’y ai compté 28 lits et postes d’hémodialyse éloignés les uns des autres par un maximum de deux mètres. Des petits écrans de télévisions sont disposés au-dessus de chaque lit, à disposition des patients. Le service est ouvert tous les jours sauf le dimanche et propose trois séances de dialyse : le matin, l’après-midi et le soir. Ici, la mise en place du traitement doit obligatoirement être réalisée par un infirmier qualifié. Le malade n’est pas autorisé à intervenir, il n’a pas le droit de toucher au générateur.

Pendant six mois, j’ai conduit des entretiens cliniques avec sept patients à raison d’une rencontre par semaine. La majorité de ces individus n’avaient jamais rencontré de psychologue. Comme je le développerai dans la première partie, ces derniers se trouvaient tous dans une souffrance profonde, somatique et psychologique. En tant qu’aspirant psychologue clinicien, mon rôle était, avant tout, d’accueillir cette douleur et la plainte qui l’accompagnait. Cette dernière ainsi que mes observations m’ont permis de relever certains dysfonctionnements dans la prise en charge et dans l’institution. Ces failles seront traitées dans la deuxième partie.  Pour finir, dans une dernière partie, je proposerai quelques solutions qui pourraient être déployées pour améliorer le bien-être des patients.

J’ai pris le parti de développer mon argumentation de manière empirico-inductive, en me reposant exclusivement sur mes observations et sur le contenu des entretiens cliniques réalisés avec les patients.

 

1.     DES PATIENTS EN GRANDE SOUFFRANCE

 

A.     Une souffrance somatique

 

1)    L’insuffisance rénale chronique de stade 5 (terminale)

 

L’insuffisance rénale chronique est une maladie silencieuse. Les symptômes apparaissent généralement au stade 4 quand le taux de filtration glomérulaire des reins descend en dessous de 44 mL/min/1,73 m2.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 27 janvier.

                 

Monsieur I. est particulièrement agité : ses mains tremblent et ses pieds bougent beaucoup. Ses jambes sont toujours très douloureuses. On lui a prescrit un nouveau médicament mais cela ne change rien. Pour se soulager, il se masse les mollets au Synthol. A la maison, assis dans son fauteuil, le simple contact de ses mollets avec le repose pieds est une souffrance. Depuis quelques jours, Monsieur I. mange mieux. Au début de la dialyse, il était épuisé, il n’avait même pas la force de s’alimenter. Ses nuits sont toujours très agitées à cause des décharges électriques qu’il ressent dans les jambes. Cependant, il arrive désormais à restreindre sa petite sieste d’après repas. Il ressent en lui, à nouveau, un peu d’énergie pour faire des choses comme aller dans son jardin. Plusieurs fois il me demande si c’est normal d’être fatigué au début. Il a commencé la dialyse en septembre dernier. Le patient me demande :

– « quel est votre métier ? 

– Psychologue, vous vous souvenez de moi ? 

– Oui ».

 

Comme nous pouvons l’observer dans le cas de Monsieur I., les symptômes de l’insuffisance rénale chronique sont non spécifiques. Selon une étude parue en 2019, la quasi-totalité des malades sont hypertendus et présentent des troubles du sommeil, une perte d’appétit, des douleurs musculaires, une perte de poids et de la fatigue.[3]

Les troubles du sommeil se manifestent généralement par une insomnie, une somnolence diurne, une fatigue ou des symptômes dépressifs.[4] Leurs origines peuvent être variées, allant des apnées du sommeil au syndrome des jambes sans repos (impatiences). Tous les patients que j’ai observés somnolaient régulièrement pendant les séance de dialyse ; sans doute pour faire passer le temps. Leur sommeil est inconfortable et très mouvementé. Ils m’ont également tous rapporté faire des siestes tous les jours après le repas. Cette somnolence affecte de manière importante leur qualité de vie.[5] Chez les patients souffrant d’insuffisance rénale chronique, on retrouve une prévalence de l’insomnie d’environ 69%.[6] Le rythme circadien se trouve généralement perturbé[7] ; dans le cas spécifique des patients dialysés à cause d’un dérèglement dans la sécrétion de la mélatonine[8]. L’insomnie a de fortes répercussions sur la qualité de vie car elle engendre de la fatigue, des troubles de la mémoire, de la concentration, une irritabilité et une hypothymie.

Dans le cas de Monsieur I., les douleurs musculaires semblaient être le plus insurmontable. Ce sujet a été évoqué dans la majorité de nos entretiens. Leur forme la plus handicapante étaient le syndrome d’impatience musculaire de l’éveil (SIME) car il se manifestait dès qu’il tentait de se reposer. Le SIME est un trouble sensorimoteur, caractérisé par le besoin impérieux de bouger les jambes, souvent accompagné de sensations désagréables, des manifestations qui surviennent préférentiellement le soir, au repos, et qui sont calmées par le mouvement. La présence d’un SIME est un facteur délétère dans l’évolution des patients en insuffisance rénale chronique, avec une mortalité accrue dans les deux à cinq ans[9]. L’insuffisance rénale chronique provoquerait également une diminution des muscles squelettiques avec pour conséquence un disfonctionnement musculaire. Ce dernier serait à l’origine d’une perte de mobilité, de performances physiques et, par extension, d‘une augmentation des hospitalisations et de la mortalité.[10]

Dans cet entretien le patient revient également sur sa perte d’appétit. Il semble l’imputer à la fatigue ressentie en début de dialyse. Comme nous l’avons vu, il s’agit d’un symptôme très fréquent dans les maladies rénales chroniques qui peut aussi être la conséquence des fortes restrictions alimentaires et hydriques imposées par la maladie. Ainsi, selon la diététicienne du service de néphrologie, Madame U. L., pour les patients en anurie, les apports journaliers en eau de boisson ne doivent pas excéder 750 ml, en protéines 1,5 gr / kilo de poids de corps, en potassium 5,2 mmol / litre, et en phosphore 50 mmol / litre. Le passage brutal à un tel régime sous la contrainte peut justifier la perte de motivation pour s’alimenter et un amaigrissement. À elle seule, la restriction hydrique engendrerait des maux de tête, des crampes, un amaigrissement et de la fatigue.

Les différents signes pathologiques dont se plaint Monsieur I. dans l’entretien clinique du jeudi 26 janvier sont tous reconnus par différentes études scientifiques comme relatifs à l’insuffisance rénale chronique terminale. Ils ont tous un fort impact sur la qualité de vie des patients et conduisent tous à un état incapacitant : la fatigue.

 

2)    Les douleurs et effets secondaires du traitement par hémodialyse

 

Les patients en insuffisance rénale chronique de stade 5 se rendent à la Clinique de X. trois fois par semaine. Ils restent sur place en moyenne cinq heures. En effet, en plus du temps propre à la filtration du sang, il faut compter une heure supplémentaire pour la mise en place et le débranchement. En arrivant dans le centre, les patients sont pesés pour déterminer leur poids sec et la quantité d’eau à éliminer de leur organisme. Selon le résultat, ils passeront plus ou moins de temps branchés au générateur.

 

Compte-rendu de l’entretien de Madame T. du jeudi 31 mars.

 

Je réveille Madame T. qui est assoupie. Elle me répète plusieurs fois se sentir très fatiguée. Dans ces conditions, je ne sais pas très bien si je dois continuer l’entretien. Depuis quelques jours, la patiente n’a plus beaucoup d’énergie. Madame T. a commencé le traitement en hémodialyse en août dernier. Elle pressent que sa fatigue est liée au protocole. Elle me dit avoir demandé au docteur d’en réduire la durée. Il a répondu qu’il allait voir mais, selon elle, il semblait sceptique. Madame T. répète : « Je ne vais pas très bien ». Sa sœur est restée quatre jours chez elle et depuis son départ c’est pire. Elle n’a toujours pas le goût de cuisiner et a du mal à se motiver pour manger les plats qui lui sont livrés.

 

Comme nous l’avons vu précédemment, la fatigue est presque inéluctablement une conséquence de l’insuffisance rénale chronique. En complément, elle est l’un des effets secondaires les plus fréquents du traitement par hémodialyse. Il est d’ailleurs assez facile de concevoir que la filtration intégrale du sang par une machine le soit. Une étude récente de 2020 démontre que sur 271 sujets, 164 d’entre eux (60.1%) présentent une fatigue post-dialyse.[11] De plus, la durée, l’intensité et la fréquence de la fatigue post-dialyse est intense tant en qualité qu’en quantité.  Cette fatigue a un impact important sur la qualité de vie du patient. Elle augmente le risque d’accident cardiovasculaire et réduit l’espérance de vie.[12]

Le branchement du patient à la machine peut également s’avérer cause de souffrances. Avant leur entrée en dialyse, la majorité des malades se font poser une fistule artério-veineuse. Cette opération chirurgicale, qui a lieu sous anesthésie générale, consiste à relier une artère et une veine de l’avant-bras. Elle permet d’accéder à un débit sanguin plus élevé requis pour le filtrage du sang à l’extérieur du corps. Cette fistule doit être entretenue par le patient pour éviter qu’elle ne se bouche ou ne s’infecte.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 31 mars.

 

Monsieur I. est assis devant sa tablette. Très agité, il me raconte, qu’une fois de plus, son branchement fut difficile ce matin. Pendant plus trente minutes, quatre infirmiers ont tenté de raccorder le drain sans succès. Le docteur, lui-même n’a pas réussi ! La majorité de l’entretien va tourner autour de ce point, le patient répétant à de nombreuses reprises :  « je ne comprends pas pourquoi ils n’arrivent pas à me brancher ! ». Monsieur I. m’explique que la douleur était tellement insupportable qu’à chaque piqûre, il a poussé des hurlements. Ce fut déjà le cas samedi dernier et, à son arrivée ce matin, tous les autres malades lui ont demandé ce qu’il s’était passé. Préoccupé, il est même allé ce dimanche au CHU de M. pour faire nettoyer sa fistule. Je lui demande si cela génère, chez lui, une appréhension avant de venir en dialyse. Sur le moment, il ne me répond pas. Un peu plus tard, en fin d’entretien, il me dira que chaque matin il se demande ce qu’il va bien encore pouvoir se passer.

 

Dans le cas de Monsieur I., le branchement au générateur de dialyse a pris, pendant quelques semaines, des allures de torture. Cette souffrance était pour lui une source d’anxiété supplémentaire.

Pour finir, certains des patients hommes m’ont fait part de troubles érectiles rencontrés depuis la mise en place de leur traitement par hémodialyse. Cet effet secondaire serait présent chez les 93% des patients masculins d’un groupe d’étude et serait renforcé chez les diabétiques.[13] Une baisse de la libido serait également perçue chez les femmes mais ses causes seraient plus d’ordre psychologiques[14].

Les six mois passés au service d’hémodialyse de la Clinique de X. et les nombreux entretiens avec les malades m’ont permis de constater une grande souffrance somatique. Cette souffrance est en partie causée par l’insuffisance rénale chronique terminale et le protocole de traitement. Les troubles du sommeil, les douleurs musculaires, les restrictions alimentaires et hydriques, la perte d’appétit, la fatigue chronique, le dysfonctionnement érectile ou encore les douleurs liées à la fistule artério-veineuse plongent assez rapidement les patients dans une condition physique « traumatique ».

 

3)    Les comorbidités

 

A cela, il faut rajouter les symptômes des autres pathologies dont souffrent les patients et les effets secondaires des traitements associés. En effet, de nombreux patients atteints de maladies rénales chroniques présentent des comorbidités. L’hypertension artérielle, le diabète, les glomérulopathies et le syndrome métabolique sont les causes les plus fréquentes de l’insuffisance rénale. A titre d’exemple, l’hypertension artérielle peut s’accompagner de maux de tête, de vertiges, de bourdonnements d’oreille, de troubles de la vision et de saignements de nez ; le diabète de type deux d’une augmentation de la soif et de la faim, de fatigue, de démangeaisons, de coupures qui cicatrisent lentement, d’infections fréquentes des gencives, de la vessie, du vagin, de la vulve et du prépuce, d’une insensibilité ou fourmillement des mains et des pieds, de troubles de l’érection, et de troubles de la vue.

Une grande partie de ces symptômes ont une influence directe sur la qualité et la durée de vie des patients. Individuellement, ils sont quasiment tous traitables mais cela nécessite beaucoup de patience et des ajustements thérapeutiques. De plus, ces symptômes étant non spécifiques, ils nécessitent l’intervention de presque toutes les spécialisations de la médecine.

 

Compte-rendu de l’entretien de Madame U. du lundi 13 décembre.

 

La semaine précédente, Madame U. a été victime d’un accident vasculaire cérébrale au cours de la dialyse. Elle est actuellement hospitalisée en médecine générale au deuxième étage de la clinique. La patiente semble ravie de recevoir ma visite. Sa voix est faible, presque inaudible, la partie gauche de son visage est figée par une hémiplégie. Elle s’agace de devoir chercher constamment ses mots. Elle répète plusieurs fois : « Ça ne veut pas sortir ! ».

Elle a reçu la visite de sa sœur et de ses neveux. Elle leur reproche de ne pas entendre ses souffrances. Ils lui demandent d’être forte et de ne pas se plaindre.

Elle m’explique que cela ne va pas très bien au niveau de ses jambes. Elle rencontre beaucoup de difficultés à les bouger.

Après la dialyse, Madame U. doit aller passer un IRM dans le service voisin. Cela lui fait très peur. Elle a déjà fait des IRM mais celui-là est différent. J’essaie de la rassurer et de l’encourager. Je lui dis que je repasserai la voir dans la semaine.

 

La grande fragilité somatique des patients hémodialysés implique donc une prise en charge très méticuleuse et attentive des équipes médicales. La grande quantité, la variété et l’intensité des symptômes requiert inévitablement un travail en équipes pluridisciplinaires. A la Clinique de X., cette souffrance peut éventuellement être entendue par les personnels soignants et les deux néphrologues du service. Cependant, qu’en est-il de la souffrance psychologique qui procède inévitablement de cette douleur ?

 

B.      Une souffrance psychologique

 

Il est désormais convenu que les patients traités par hémodialyse sont sujets à une très forte détresse psychologique.[15] Cette souffrance a de multiples facettes : la fatigue chronique, la peur de la mort, la perte d’organe, l’isolement social ou encore la perte du désir.

 

1)    Quand la mort frappe à la porte sans prévenir

 

L’insuffisance rénale chronique est une pathologie insidieuse, silencieuse. Ses premiers symptômes apparaissent au stade 4, quand il est déjà trop tard. Il s’agit d’une maladie mortelle et incurable qui va confronter le patient à de multiples deuils, en premier lieu celui de ses organes. Le traitement par dialyse place les malades dans une position entre la vie et la mort, une position fragile de survivants.[16] Dans la majorité des ablations, même s’il est difficile, le travail de deuil de l’organe perdu est possible. La particularité du traitement par dialyse est que trois fois par semaine, pendant des années, la confrontation à ce rein artificiel, le générateur, replace le patient face à l’objet de sa perte. Il rend le travail de deuil presque impossible.

Dans le même temps, en l’espace de deux mois, une avalanche de décès a frappé les proches et les aidant des patients que je suivais. Ce que j’ai dans un premier temps pris pour un hasard funeste s’est avéré être un phénomène assez fréquent dans le cadre des maladies chroniques. Prendre soin d’un parent malade sur la durée est un fardeau qui engendre un stress très fort : « le caregiving strain ». Des études démontrent que cette position d’aidant s’accompagne d’une mortalité supérieure à une population non aidante.[17] [18]

La présence de la mort et les angoisses qui l’accompagnent sont donc omniprésentes dans l’environnement des patients.

 

Compte-rendu de l’entretien de Madame T. du jeudi 2 décembre.

 

Il s’agit de mon premier entretien avec Madame T. suite à une demande de la néphrologue qui s’inquiète de son humeur.

Quand je me présente à Madame T., elle me dit tout de suite que cela ne va pas. Son mari est décédé la veille. Lundi, il y a trois jours, il a fait un malaise cardiaque et a été conduit en soin intensif.  « C’était soudain, il n’avait aucun symptôme » me dit-elle. Il était âgé de 87 ans, plus âgé qu’elle. Je lui demande si elle est soutenue par ses enfants. Elle me répond positivement. Ils sont tout de suite venus. Durant l’entretien, elle pleure à plusieurs reprise. Elle semble cependant faire preuve de solidité. Son regard est franc. Je ne discerne aucune trace de stupeur ou de décompensation, elle reste lucide.

 

Compte-rendu de l’entretien de Madame O. du jeudi 9 décembre.

 

J’ai réveillé Madame O. car elle était assoupie.  Elle semble un peu agacée par ma présence, peu disposée à se livrer. Elle n’a plus aucun appétit, rien ne passe. C’est à cause du décès de son petit-fils. « Ça ne passe pas, c’est très long…». La patiente m’explique qu’une partie d’elle-même s’en est allée. Elle a fait un malaise mardi à cause d’une baisse de tension. Les soignants ont été obligés de la débrancher et de la renvoyer chez elle. Ce qui a été difficile, me dit-elle, c’est que son petit-fils de vingt et un ans est « resté un mois au frigo » avant d’être enterré. Il n’a été mis en terre que vendredi. Il y avait beaucoup d’amis à lui.

 

Sur les sept patients que j’ai suivis, quatre ont été touchés par un deuil et un est décédé : Madame T. a perdu son mari, Madame U. sa mère, Madame O. son petit-fils et Monsieur Y. son cheval, Monsieur A. est quant à lui décédé. Dès la semaine suivant l’annonce du décès, ils présentaient tous des symptômes de dépression réactionnelle tels qu’une forte baisse de moral, une anhédonie, une perte d’appétit, une asthénie ou encore une aboulie. Au moment de mon départ, aucun d’entre eux n’avait véritablement remonté la pente. Ces décès sont venus faire écho à une multitude d’autres : celui de leurs parents bien évidemment mais également celui de leur reins.

 

2)    Une prédisposition à l’angoisse de la perte d’objet

 

La répétition des deuils semble plonger les patients hémodialysées dans une angoisse constante de perte d’objet. Dans une grande majorité des entretiens cliniques que j’ai menés, cette angoisse est déplacée sur les aidants, en particulier sur les conjoints.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur K. du jeudi 9 décembre.

 

À la maison, Monsieur K. marche un peu, grâce à l’aide de sa femme. Désormais, elle doit même l’emmener aux toilettes. Il se demande combien de temps sa femme tiendra à ce rythme-là, si elle ne va pas partir. Il me dit : « bientôt ça va être la guerre ! ». En effet, il passe son temps à la solliciter car il a toujours besoin de quelque chose et il en a besoin tout de suite. Je lui demande s’il y a une raison pour son changement de place dans un bloc isolé. Il répond qu’il ne comprend pas, qu’il est en colère.

 

Dans une insuffisance rénale chronique terminale, la première perte est organique. Comme nous l’avons évoqué dans le paragraphe précédent, les malades sont reliés à un organe artificiel, à minima douze heures par semaine. Ils sont, sans cesse, ramenés à cette perte d’objet. De plus, le traitements par dialyse et la fatigue qui en découle placent les sujets dans une dépendance totale aux aidants. D’une certaine manière, la perte de ces derniers les conduirait fatalement à la mort. La relation à l’objet, pour les patients hémodialysés, devient une question de survie.

La perte d’objet est un sujet de prédilection de la psychanalyse et de la psychologie clinique. Le premier à l’avoir théorisé est Freud dans deuil et mélancolie (1915).[19] Elle lui permit de définir le clivage du moi. Elle serait à l’origine de l’état dépressif. Quelques années plus tard, il fera évoluer sa théorie en plaçant la peur de la perte de l’objet comme origine de l’angoisse.[20] Dans le cas des patients hémodialysés, la vérité est sans doute entre les deux. Au cours des entretiens, l’évocation par les patients d’un possible abandon de leurs aidants était sujette à beaucoup d’angoisse et conduisait très souvent à des larmes qui venaient révéler un terrain dépressif.

La prédominance de l’angoisse de perte d’objet chez ces malades peut également s’expliquer par le caractère régressif de la dialyse. Selon D. Cupa, « la spécificité de la position existentielle du dialysé se caractérise par la présence de la mort que révèle la défaillance organique, mais aussi par la nécessité des soins qui le placent dans une dépendance absolue marquant son impuissance radicale, identique à celle d’un nourrisson incapable de subvenir à ses besoins ».15 Cette position infantile m’a frappé au début de mon stage. Elle se manifeste dans les regards, les postures et les demandes des malades. L’angoisse de perte d’objet a été reprise par G. Guex pour définir la « névrose d’abandon »[21] qui caractériserait les enfants réputés pour mettre sans cesse à l’épreuve la sollicitude et la bienveillance des adultes, par des attitudes provocatrices et agressives. Il me semble intéressant de remettre en perspective l’attitude de Monsieur K. avec son épouse. Quand il lui demande de l’aide et ajoute « tout de suite ! », il semble vouloir tester leur lien.

De mon point de vue, cette problématique objectale est à prendre très au sérieux dans la prise en charge des patients hémodialysées. Comme l’avait pressenti Freud, la perte d’objet semble très souvent corrélée avec la dépression. Le DSM V alerte d’ailleurs sur ce risque : « il est possible qu’un trouble dépressif majeur survienne en plus de la tristesse résultant d’une perte importante »[22].

 

3)    Une culpabilité omniprésente

 

Au cours de mes entretiens, j’ai remarqué une forte culpabilité chez les patients. Elle se manifeste principalement à l’égard des aidants et résulte de l’incapacité fonctionnelle des malades.

 

Compte-rendu de l’entretien de Madame U. du lundi 14 janvier 2022.

 

Madame U. m’accueille en me posant des questions sur mon week-end… Le moral n’est pas très bon. Sa maman ne va pas bien. Elle mange très peu. Madame U. a très peur de ne pas pouvoir être auprès d’elle, en outremer, si elle venait à mourir. Son père est mort dans ses bras et sa mère souhaiterait que ce soit la même chose pour elle. La semaine passée, elle a refusé de lui parler au téléphone. Je lui demande pourquoi. « Parce que je ne suis pas auprès d’elle ». Je lui demande si sa mère est au courant qu’elle est hospitalisée suite à un AVC. Elle me répond assez confusément : « avec moi c’est comme ça ». Pourtant, elle a plusieurs frères et sœur sur place qui s’occupent de sa mère. La patiente n’arrive pas à sortir cette culpabilité de sa tête. Je la sens assez émue. Elle souhaite quitter la clinique pour prendre un vol rejoindre sa mère.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 7 avril 2022.

 

Je trouve Monsieur I. allongé. Il n’est pas sur sa tablette. En arrivant j’ai vu que ses jambes s’agitaient. Son moral semble bon. Depuis une semaine, le docteur a préconisé qu’on le pique un peu plus haut sur le bras et c’est beaucoup moins douloureux. Je dirige la conversation sur sa femme. Il me dit que tout va bien mais qu’elle est très fatiguée car elle doit faire beaucoup de choses comme tondre la pelouse.  Je demande comment il vit cette situation. Le patient m’explique qu’il n’arrive pas l’accepter. Sa femme s’est mise en tête de repeindre un mur. Il doit assister à cela sans pouvoir rien faire. Il est tellement fatigué que quand il commence un travail, il est immédiatement pris de vertiges. Il s’essuie l’œil gauche. Je pense qu’il pleure mais son visage demeure impassible.

 

La culpabilité présente chez Monsieur I. est commune à tous les patients. La fatigue chronique et les douleurs musculaires réduisent considérablement leur potentiel d’agir. Ils sont donc dépendant de leurs aidants pour se nourrir, pour aller faire les courses et parfois pour faire leur toilette. La chronicité de la maladie ne leur laisse guère d’espoirs sur une évolution de cette situation. Tout naturellement, les malades développent donc une importante culpabilité vis-à-vis de leur proches, celle de ne pouvoir rien faire, d’être en incapacité. Cette culpabilité semble renforcée par l’angoisse d’abandon.

Je l’ai également constaté à l’égard du personnel soignant qui réalise l’intégralité de la prise en charge pendant les séances d’hémodialyse. L’effet paradoxal est que les patients, dans une position de culpabilité et de dette, n’osent plus énoncer de demandes aux infirmiers et aux médecins. La culpabilité devient un frein social.

Il existe aussi, chez les patients atteints d’insuffisance rénale chronique, qui est une maladie présentant des facteurs héréditaires, une forte culpabilité vis à vis de leur descendance. Les patients se reprochent de transmettre une pathologie incurable, une mort programmée, à leurs enfants.

Enfin, cette culpabilité exacerbée trouve peut-être son origine dans la survenue d’une infection organique. Le sujet malade recherche un sens à l’événement traumatique auquel il est confronté. Dans cette quête, il peut s’imputer une faute, une cause transgressive qui justifierait la punition dont il fait l’objet.[23] Les insuffisants rénaux chroniques s’engageraient donc sur le chemin de leur maladie sur le mode de la culpabilité.

La culpabilité est un état que l’on retrouve souvent dans le tableau clinique de la dépression. Dans le cas des patients dialysés, il est difficile de discerner s’il s’agit d’un facteur de la dépression ou de l’un de ses effets. Ce qui semble certain, c’est qu’il se crée une boucle délétère. La culpabilité renforce l’état dépressif qui, à son tour, renforce la culpabilité.

 

4)    Une perte de désir

 

Chez les hommes, le traitement par hémodialyse entraîne souvent un dysfonctionnement érectile. Une forte baisse de la libido, d’origine psychologique, a également été constatée chez les patientes.13 La pause de la fistule, du cathéter et les changements morphologiques engendrés par la maladie tel que l’amaigrissement ou la prise de poids conduisent les malades à ne plus reconnaître et accepter leur corps. Dans l’intimité, ces femmes se sentiraient embarrassées. La sexualité des dialysés est donc très souvent touchée, avec une baisse plus ou moins prononcée de la libido, une impuissance plus ou moins complète pour les hommes, une frigidité voire une stérilité pour les femmes.[24] Cette anhédonie sexuelle peut se traduire à moyen terme par une anhédonie généralisée, une perte de désir et d’intérêt dans tous les champs du quotidien. Dans ce sens, en 2009, une étude démontra que chez les patients hémodialysés, la baisse de la sexualité était positivement corrélée avec une baisse de la qualité de vie et la dépression. [25]

La baisse de la sexualité est un sujet très peu évoqué par les patients car il touche l’intimité.

Cependant, elle ne doit pas être négligée par les soignants et les aidants dans le cas des insuffisants rénaux chroniques qui vont avoir tendance à se replier sur eux-mêmes et développer une anhédonie.

 

5)    Les restrictions alimentaires et hydriques

 

La néphrectomie laisse les malades sans organe capable d’évacuer le trop plein d’eau contenu dans le corps et de filtrer le sang. Sans l’aide de la dialyse,  l’excédent d’eau, de sel, de potassium et de phosphore entraîne inévitablement la mort du patient en quelques jours. Comme nous l’avons déjà évoqué, le traitement par dialyse a de nombreux effets secondaires. Il est très traumatique pour le corps et ne doit pas être utilisé sur des durées trop longues. Les insuffisants rénaux chroniques ont donc le devoir de restreindre la quantité de liquide, de sel, de potassium et de phosphore qu’ils font entrer dans leur organisme.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur Y. du lundi 22 novembre 2021.

 

Dans quelques semaines, Monsieur Y. compte passer un mois dans un hôpital spécialisé en diététique pour y suivre un programme de régime. Il est déterminé à perdre le poids nécessaire pour pouvoir se faire opérer du cœur. Opération qui lui permettra ensuite d’être éligible à la greffe de rein et « d’en finir avec tout ça ».

Cette intervention lui procure beaucoup d’anxiété. Il a très peur de ne pas se réveiller. Ce n’est pas tant la douleur qui l’inquiète car un de ses amis lui a dit qu’il serait plongé dans le coma. Mais dans un premier temps, il doit d’abord perdre du poids.

Pour lui, c’est le plus difficile car il adore « bouffer ». Il a passé toute sa vie avec toujours quelque chose dans la bouche. Il a toujours cuisiné à la maison et c’est toujours le cas. Ses enfants préfèrent sa cuisine et de toute façon, s‘il veut bien manger il doit cuisiner. S’il a pris du poids c’est surtout la faute de son travail car il faisait les trois-huit. Il ne travaille plus depuis 2009 à cause de son cancer.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur Y. du lundi 20 décembre 2021.

 

Ce matin, Monsieur Y. n’est pas très prolixe. Il me dit que tout va bien. Je lui demande si, comme d’habitude, la dialyse se déroule bien. « Aujourd’hui ce n’est pas terrible. Je suis arrivé avec cinq kilos en trop… ». Il me dit avoir trop bu. Il m’explique qu’il doit se limiter à un demi-litre de liquide par jour. C’est impossible pour lui. Avant, il buvait deux litres par jour. De plus, le lundi, il se présente ici après deux jours et demi sans dialyse. C’est trop long !

Je lui demande si cela toujours été comme ça ou si cet excès d’eau est récent. Il me répond : « toujours ! ». La veille, il s’est retrouvé dans un « traquenard » chez son gendre. Vers seize heure, ce dernier a lancé l’apéro et ouvert une bonne bouteille ! Ils ont picolé !

Monsieur Y. me raconte avoir acheté un vélo d’appartement et s’y être mis tous les jours, au début c’était seulement dix minutes, maintenant trente. Il a également commandé une combinaison de sudation pour transpirer et évacuer l’eau.

 

Pour certains patients tel que Monsieur Y., les restrictions hydriques et alimentaires sont vécues comme une perte supplémentaire. De manière plus générale, bien se nourrir, en plus d’être un besoin vital, est associé au plaisir. La privation de nourriture et de liquide est à l’inverse un motif de souffrance. Dans le cas des patients hémodialysés, la défaillance organique impose une double contrainte. Une sous-alimentation qui doit être complétée par un apport médicamenteux en potassium et phosphore et un contrôle du poids pour éviter un amaigrissement dangereux ou une obésité qui les exclurait des programmes de greffes. Cette double contrainte ajoute de la fatigue, de la frustration et également une forte culpabilité en cas d’écarts. De plus, elle fait disparaître toute notion de plaisir dans l’alimentation. Se nourrir devient un traitement médical, une contrainte. Il en résulte souvent une perte d’appétit. Dans un régime ordinaire, le plaisir revient rapidement une fois la privation passée. Mais dans le cas d’une maladie chronique, cette perte de plaisir est souvent vécue comme définitive. La perte d’appétit est un symptôme bien connu de la dépression. Dans le cas des patients hémodialysés, il paraît à nouveau très difficile de faire la part des choses entre ce qui serait un effet secondaire de la maladie et la manifestation d’un état dépressif.

 

6)    Des troubles psychopathologiques complémentaires

 

Même si l’on reconnaît à l’insuffisance rénale chronique une étiologie parfois génétique, il s’agit d’une maladie qui touche toutes les populations. Certains malades souffraient déjà de pathologies psychiques avant de contracter cette maladie. De plus, comme toute maladie mortelle, son annonce et ses implications thérapeutiques ont une forte composante traumatique. Elles peuvent entraîner des décompensations. La plus fréquente, dont nous parlerons juste après, demeure la dépression.

 

Compte-rendu des entretiens avec Monsieur Y. menés entre le 22 novembre 2021 et le 14 avril 2022.

 

·      Monsieur Y. m’annonce d’entrée que son moral est bas. Il est très préoccupé par la santé de son cheval. Il a vingt-quatre ans, souffre de coliques, et il est probable qu’il soit nécessaire de l’euthanasier. Il me dit en avoir marre de la dialyse. Les yeux humides : « si ce n’était pas pour mes enfants et ma femme, je laisserais tout tomber ». Il revient sur son cheval. Il traverse des moments difficiles. L’animal et lui ont une relation fusionnelle. Il va le voir tous les jours. Le patient a les larmes aux yeux. Quand il ne va pas bien, il a l’habitude d’aller voir son cheval. Et maintenant, il a une semaine pour prendre la décision de l’euthanasier. Si c’est le cas, il le fera incinérer pour récupérer les cendres. La dernière fois que son cheval a eu des coliques, cela lui a couté dix-sept mille euros. En plus : « l’animal est en bout de course. Mais il a eu une vie bien rempli. Il a travaillé pour la garde nationale et au Puy du Fou. Même si au Puy du Fou c’était difficile ! »

·      Monsieur Y. m’accueille les larmes aux yeux. Il me chuchote : « Ça ne va pas, il est mort ! » Son cheval est décédé dans la nuit de samedi d’un accident cardiaque. Le patient semble abattu et désemparé.  Comme il ne me l’avait jamais dit, je lui demande le nom du cheval : « Jupiter ». Il reste maintenant à récupérer les cendres. Il prend soudainement un air sérieux et m’annonce assez froidement : « c’est cinq mille euros ». Il ne récupèrera qu’une partie des cendres sinon c’est beaucoup plus cher. Il s’émeut ensuite à plusieurs reprises en soulignant que tout le monde aimait son cheval, « il était majestueux, tout le monde voulait le monter ». Dans son salon, il a commencé à dresser un petit mausolée avec quelques photos de l’animal et des bougies.

·      Monsieur Y. me répond : « Les parents c’est tabou !». il m’explique être un enfant de la DDASS. À l’âge de trois ans, il a été placé en famille d’accueil avec sa petite sœur. Son père l’a renié. Ils étaient une fratrie de quatre. Son père a gardé avec lui les deux ainés et abandonné les deux autres. Quand sa mère est revenue les chercher à seize ans et demi, il n’était pas ravi. Je lui demande pourquoi sa mère ne s’est pas occupée d’eux, il me répond : « elle ne pouvait pas, elle avait une vie de patachon. Elle sortait souvent, il y avait beaucoup de passage à la maison, elle avait la cuisse légère. »

·      « Je fais les courses avec ma femme. Je suis très autonome. Je bricole aussi. Ce week-end j’ai changé les freins de la voiture de ma fille ».

·      Il me répète à nouveau qu’il est un peu vieux pour prendre un nouveau cheval, que c’est compliqué et que de toutes les façons, Jupiter sera toujours avec lui désormais. Monsieur Y. baisse la couverture et me montre sa cuisse. Un par un, il me montre ses tatouages dont un en forme de fer à cheval avec écrit « Jupiter ».

·      Pendant quinze jours, à, l’hôpital, il a fait des mouvements, du vélo, et de la marche sur un tapis. Il a rencontré des kinés, un psy, une diététicienne. Il me lance d’ailleurs sur ce sujet avec un regard un peu inquisiteur. Monsieur Y. a remarqué que j’étais ami avec la diététicienne de la clinique. « Dans cet hôpital, la diététicienne m’a dit que j’avais le droit de manger de tout, sans restriction, mais en petite quantité ».

·      Quand je lui demande pour quelle raison il a été hospitalisé en urgence dimanche dernier, il m’explique qu’il s’est trompé dans les doses de morphine. Et qu’il a fait une overdose.

 

L’exemple de Monsieur Y. est assez parlant car il s’agit d’un patient en grande souffrance psychique mais les raisons de cette souffrance ne semblent pas liées à des effets secondaires de la maladie ou de la dialyse. Il s’agit du seul de mes patients qui ne semble pas être en incapacité fonctionnelle. Quand il fait beau, il va tous les jours au centre équestre voir des chevaux. Il demeure encore très autonome. Monsieur Y. a cependant pleuré au cours de presque tous nos entretiens. Ces moments d’émotions sont toujours très théâtralisés et s’accompagnent d’une grande labilité. Il semble toujours être en quête d’attention. Dans le même registre, au fur et à mesures de nos rencontres, j’ai pu observer une recherche croissante d’érotisation des contacts et une quête de virilité symbolisée par l’analogie à son cheval. En complément de ce versant très histrionique de sa personnalité, Monsieur Y. présente une forte dépendance affective avec une intolérance à la frustration et des « acting out ».

En parallèle de son insuffisance rénale chronique terminale, Monsieur Y. semble donc présenter un trouble de la personnalité hystérique (renommé histrionique).

Il est assez difficile d’établir si ce trouble était antérieur à la maladie rénale ou si l’hystérisation de sa personnalité s’est développée comme un mécanisme de défense face à sa pathologie somatique. Mais cette dernière hypothèse pourrait expliquer pourquoi le patient n’est pas en incapacité fonctionnelle comme les autres patients d’âges similaires pourtant soignés dans le même cadre.

Comme Monsieur Y., de nombreux patients hémodialysés souffrent sans doute de psychopathologies variées qui ne sont pas prises en charge ni même diagnostiquées. Le peu de temps libre laissé entre les séances de dialyse et la fatigue chronique rendent la prise en charge de ces malades difficiles.

 

7)    La dépression

 

Comme avec la fatigue dans les manifestations somatiques, toutes les souffrances psychologiques vécues par les patients hémodialysés semblent converger vers la dépression. Sur les sept patients que j’ai rencontrés régulièrement durant mon stage à la Clinique de X., quatre d’entre eux présentaient des signes d’état dépressif. La fatalité a voulu que quatre patients soient frappés par le décès d’un proche au cours du suivi. Il n’est donc pas évident de déterminer si ces états étaient réactionnels au deuil ou s’il s’agissait de dépressions majeures. Le forte mortalité des aidants dans l’environnement des malades chroniques me paraît, dans tous les cas, un élément à prendre en compte dans le diagnostic des facteurs de risque psychologiques chez les insuffisants rénaux chroniques.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur A. du vendredi 4 mars 2022.

 

Monsieur A. est allongé, son corps est très amaigri, son visage pâle et son regard éteint. Durant cet entretien de quarante minute, il ne me regarda jamais.

En 2017, on lui a diagnostiqué en même temps un cancer de la prostate et une insuffisance rénale. Et en septembre dernier, il a subi une néphrectomie et il a été placé sous dialyse.

Monsieur A. m’annonce d’entrée que le moral n’est pas bon. Il n’a plus du tout le goût à manger mais se force à avaler quelques desserts pendant les repas. Sa femme est préoccupée mais aussi très fatiguée. Il ne peut presque plus marcher. Il fait de la kiné une fois par semaine mais les exercices lui font mal. Il est donc très dépendant de sa femme qui n’en peut plus. Elle doit désormais aussi le laver. Elle a proposé l’aide d’une auxiliaire de vie. Il me dit que la conduite lui manque. Il a arrêté de conduire à 40 ans quand son problème de hanche est apparu. Personne d’autre ne conduit dans la famille. Désormais, il passe la majeur partie du temps à regarder du sport sur son canapé. Monsieur A. me raconte que son épouse est corse et qu’elle aimerait bien retourner voir sa famille pour les prochaines vacances. Cependant, ce n’est pas possible car il ne peut plus marcher. Il m’explique que dorénavant plus rien est possible.

 

Monsieur A. souffrait assurément d’une dépression majeure. Sa tristesse était intense et pathologique. De nombreux symptômes liés à l’humeur dépressive étaient observables : une vision pessimiste de soi et du monde, une perte d’estime, des sentiments d’incapacité et d’inutilité, une anhédonie et une perte d’intérêt. J’ai également constaté un fort ralentissement psychomoteur qui se traduisait par un visage figé, une voix monocorde, une lenteur du débit verbal, une asthénie, un apragmatisme ou encore une aboulie. Aucun de ces signes ne pouvaient être expliqués par un deuil ou un syndrome mixte.

J’ai retrouvé des symptômes significatifs de dépression d’une durée de plus de deux semaines chez trois autres patients. Madame O. présentait une douleur morale intense, du pessimisme, une amimie, une voix monocorde, une lenteur du débit verbal, une asthénie, un apragmatisme, une aboulie, une bradypsychie, un repli social, et une anorexie. Monsieur I. manifestait de la morosité, une perte de l’estime de soi, des sentiments d’incapacité,  un sentiment de culpabilité, une asthénie, un apragmatisme, une aboulie, des troubles du sommeil et une anorexie. Madame T. montrait de la morosité, une anhédonie, une perte d’intérêt, une asthénie, un apragmatisme, un appauvrissement idéique, des troubles du sommeil et des lombalgies. Ces signes pathologiques étaient encore très présents quatre mois après le décès de son conjoint. J’ai suivi Madame U. alors qu’elle se remettait d’un AVC. La dernière fois que nous avons discuté, sa mère venait de décéder. Elle se trouvait dans un état de stupéfaction et était complètement anéantie. Ces deux événement rendent, cependant, non pertinente la pose d’un diagnostic clinique.

Plus généralement, nous pouvons estimer qu’au moins un insuffisant rénal chronique sur quatre serait touché par la dépression. [26] Cette prévalence pourrait atteindre 39% des patients hémodialysés selon les échelles d’évaluation auto-administrées ou administrées par les cliniciens.[27] Il est important de mesurer l’impact de ces chiffres quand on sait qu’il a été démontré que la dépression augmentait significativement la mortalité des malades traités par dialyse.[28]

Comme nous l’avons vu, ces états dépressifs peuvent être imputés à des causes somatiques tel que la fatigue, les troubles du sommeil ou encore les douleurs musculaires. Cependant, il semblerait que les facteurs psychologiques soient plus importants dans le risque de dépression chez les patients dialysés.[29] Toutes les causes de souffrances psychiques que nous avons détaillées en supra sont positivement corrélées à la dépression : le deuil et la perte d’objet, les restrictions alimentaires et hydriques, la forte culpabilité, la baisse de la libido et nous savons que certaines psychopathologies facilitent la décompensation dépressive. Pour certaines d’entre elles telles que la culpabilité ou la perte de désir, c’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule, il demeure difficile de déterminer l’antériorité des états. Les patients hémodialysés semblent pris dans une boucle négative. Cependant, comme la dépression semble avoir une forte influence sur la surmortalité de ces patients, il est important d’essayer d’isoler les causes de la pathologie pour tenter d’en éviter l’apparition. Et, dans le cas échéant, un suivi psychiatrique et psychologique des patients est indispensable. A mon arrivée à la Clinique de X., ce n’était pas le cas. La seule psychologue de l’établissement ne pouvant suivre les quatre-vingt patients hémodialysés. A l’échelle nationale, la détresse psychologique des patients hémodialysées ne semble en tout cas pas être une priorité. Le dernier rapport de la haute Autorité de Santé sur la dialyse remonte à 2017. Dans ce dernier, « Résultats des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ; Prise en charge des patients hémodialysés chroniques »[30], aucun des indicateurs mis en place pour déterminer la qualité et la sécurité des soins n’était relatif à l’aspect psychologique de la prise en charge.

 

C.     De la dépendance contrainte à une incapacité fonctionnelle généralisée

 

1)    Une dépendance totale au corps médical

 

Dès l’annonce du diagnostic d’insuffisance rénale chronique terminale, les malades sont contraints d’adopter le traitement par dialyse. Il s’agit d’un traitement exigent, entièrement contrôlé par les équipes soignantes, avec lequel ils ne peuvent transiger. Le patient dialysé doit venir en dialyse quatre heures trois fois par semaine. Transgresser signifierait mettre sa vie en danger. [31]

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur K. du jeudi 25 novembre 2021.

 

Monsieur K. se plaint de souffrir de fortes douleurs aux pieds. Il ne peut plus marcher, ni même poser un pied par terre. Ses deux pieds présentent de nombreuses plaies. Il me dit : « Les infirmières d’ici s’en fichent ! Si je demande quelque chose, je vais encore me faire engueuler ! ».

Il y a bien une infirmière qui vient s’occuper de lui à domicile. Elle lui applique une pommade antibiotique. Mais comme elle n’a pas vu l’ordonnance, elle ne sait pas combien de temps elle doit encore le faire. Cette situation semble le préoccuper et le contrarier, il le répète à plusieurs reprises. Je lui demande s’il n’a pas une ordonnance et lui propose d’en parler au docteur. Il s’agace : « Il ne passe jamais le docteur… ». Tout lui semble insurmontable. Ce matin, il souhaitait se raser mais n’a pas pu le faire car il ne tenait plus debout.

Il déclare avoir passé deux mois en hospitalisation à la clinique sans que personne ne lui propose de marcher dans les couloirs. Du coup, il n’a plus de force et, depuis, il ne peut plus marcher. Quand il essaie, sa tête tourne, il n’a plus de repère. Comme il a peur de tomber, il préfère renoncer. Heureusement que sa femme s’occupe de lui mais il y a beaucoup de choses qu’elle ne peut pas faire. Sinon, il ne sait pas à qui s’adresser.

Le traumatisme causé par la perte des reins ainsi que par la menace d’une mort imminente semble placer les patients dans une forme d’idéalisation du corps médical qui détient le savoir et les techniques nécessaires à leur survie.  Dans un double mouvement, les patients hémodialysés régressent jusqu’à expérimenter une sorte de « détresse du nourrisson » alors que le personnel soignant paraît investi d’une toute puissance. L’entretien avec Monsieur K. est un témoignage de cette situation. D’un côté, le patient semble en dépendance totale des infirmiers, kinésithérapeute et docteurs, et d’un autre côté il se sent à leur merci. Quand j’ai interrogé la cadre de santé du service, Madame P., au sujet de cette dépendance, elle m’a réaffirmé que les patients hémodialysés n’avaient droit à aucune initiative dans la conduite du traitement, que chaque manipulation devait être réalisée par un soignant. En conséquence, cette passivité plongeait les malades dans une dépendance excessive dépassant même le cadre médical ; les patients se reposant sur les infirmiers pour leur démarches administratives, leur transports et autres. La chronicité de la maladie conduit à pérenniser cette situation. Les malades semblent s’accommoder de la perte de leur pouvoir d’agir et ce qui ne relevait au départ que de la maladie rénale va s’étendre sur l’ensemble de leur rapport à leur corps et à la santé. Ainsi, nous voyons bien que Monsieur K. semble mettre sur le même plan son traitement en dialyse, ses plaies aux pieds sans doute liées au diabète et la fatigue musculaire de ses jambes. Il paraît se trouver dans la même incapacité d’agir pour soigner ces trois pathologies.

 

2)  Des souffrances incapacitantes au quotidien

 

Comme nous l’avons vu dans les paragraphes précédents, l’insuffisance rénale chronique, le traitement par hémodialyse et les différentes comorbidités sont à l’origine de nombreux symptômes somatiques incapacitants. Les plus significatifs sont la fatigue et les douleurs musculaires. Le patient dialysé, lorsqu’il rentre chez lui après son traitement, est souvent épuisé. Il se trouve souvent dans l’impossibilité physique de subvenir aux tâches courantes comme se nourrir, faire sa toilette ou encore faire les courses. Il est donc contraint de se reposer sur ses aidants, souvent le conjoint ou les enfants. Plusieurs patients, nouvellement dialysés, m’ont raconté à plusieurs reprises avoir essayé de bricoler ou de faire des activités mais, très souvent, ils ont été pris de vertiges ou de malaises. Comme c’est le cas pour Monsieur K., ils semblent finir par renoncer à agir. Il faut ajouter à cela la posture d’extrême dépendance qu’ils ont été contraints d’adopter dans l’institution et à laquelle ils se sont habitués. De là, il ne semble n’y avoir qu’un pas pour que la dépendance et l’incapacité fonctionnelle deviennent globales. Ce renoncement apparaît comme un très fort vecteur de culpabilité chez les patients.

 

3)  Incapacité fonctionnelle et dépression

 

Les différents entretiens que j’ai menés auprès de patients dialysés me conduisent à établir un lien entre leur état dépressif et leur incapacité fonctionnelle. L’humeur des patients est profondément affectée par l’incapacité et par la culpabilité associée. Parallèlement, l’état dépressif semble leur confisquer le pouvoir d’agir. Ils sont prisonniers d’un cercle vicieux dont il paraît difficile de déterminer l’origine. En effet, les nombreux symptômes incapacitants dont ils souffrent sont à la fois caractéristiques de la dépression et des effets secondaires de l’insuffisance rénale chronique ou du traitement par hémodialyse : fatigue, troubles du sommeil, perte d’appétit, culpabilité, agitation ou ralentissement psychomoteur, perte de libido et autres douleurs somatiques. Il demeure donc difficile de déterminer si la dépression est la cause de l’incapacité fonctionnelle ou si, à l’inverse, l’incapacité fonctionnelle conduit à la dépression. Ce qui semble certain cependant, c’est qu’une fois que les malades atteignent l’état dépressif, cette double origine des symptômes rend le trouble de l’humeur difficile à endiguer.

De mon point de vue, la pathologie somatique et son traitement préparent un terrain fertile pour la dépression. Dans son approche phénoménologique,  T. Fuch parle de la constriction du corps des dépressifs : « le corps vivant perd la légèreté, la fluidité et la liberté de mouvement d’un medium et devient un corps lourd et solide qui résiste à toutes les intentions et impulsions dirigées vers le monde. »[32]. Chez les patients hémodialysés, le corps se trouve, dès le début du traitement, profondément entravé. Cette altération de la corporéité provoque, de fait, une diminution de l’intercorporétité c’est-à-dire qu’elle bloque les échanges avec les corps environnants. Cette perte de syntonisation sociale isole et génère de la culpabilité. La dépression va alors, presque inévitablement, s’installer ; ajoutant, de surcroît, une couche supplémentaire de ralentissement psychomoteur aux malades. L’incapacité fonctionnelle des malades est ainsi renforcée. D’une certaine façon, on pourrait dire que la baisse de l’humeur chez les malades souffrant d’insuffisance rénale chronique terminale trouve sa principale origine dans le corps. L’incapacité fonctionnelle favorise la dépression qui va à son tour renforcer la perte de pouvoir d’agir.

 

4)  Une incapacité fonctionnelle à caractère social

 

L’incapacité fonctionnelle chronique qui touche les patients hémodialysés semble petit à petit les isoler. Certains vivent seuls et d’autres avec des aidants fragilisés par l’engagement dont ils font preuve au quotidien.

 

Compte-rendu de l’entretien de Madame T. du jeudi 3 mars 2022.

 

Madame T. est à nouveau très affaiblie. Ses traits sont tirés. Elle se remet à peine d’une gastro-entérite. Elle a passé la journée d’hier au lit. Elle a toujours du mal à cuisiner : manque de motivation, d’appétit et beaucoup de fatigue. Depuis le décès de son époux, Madame T. n’a pas le cœur à cuisiner pour elle seule. Elle va désormais faire ses courses avec l’aide municipale. Une navette passe la récupérer chez elle et la dépose au supermarché. Ce n’est pas l’idéal car elle doit faire les achats seule dans le magasin qui est assez grand, mais c’est mieux que rien. Cette semaine, à cause de la gastro-entérite, elle n’a pas pu le faire. Le frigo est presque vide.

Les papiers de la succession et le notaire la préoccupent toujours beaucoup. Son fils va venir la semaine prochaine. C’est lui qui va s’en charger. D’ailleurs, elle préfère ne plus ouvrir son courrier. Il s’en chargera. Son fils lui a également proposé de venir passer un peu de temps chez lui à Pâques pour rencontrer sa nouvelle petite-fille. Pour cela, il faut trouver une place en dialyse dans sa région. Les démarches sont déjà amorcées. Elle doit rendre un document à la secrétaire du service Madame V. . Je lui ai donné comme objectif de le faire d’ici jeudi.

Madame T. a de très bonnes relations avec ses voisins qui se relaient pour lui apporter des petits plats. C’est quelque chose qui l’a surprise et qui lui fait chaud au cœur.

 

Cet entretien avec Madame T. illustre l’incapacité fonctionnelle et la dépendance que j’ai pu observer chez une grande majorité des patients. L’équilibre qui la maintient dans une santé acceptable est fragile. Dans une situation de deuil, la patiente reçoit un peu d’aide de son fils qui habite à plus de huit-cents kilomètres, de quelques voisins et de la secrétaire du service de dialyse avec qui elle a su créer des liens. Mais qu’en sera-t-il dans quelques semaines ?

Les souffrances somatiques, la fatigue et les douleurs musculaires en particulier, ont pour conséquence, dans un premier temps, la perte de mobilité. Cette dernière engendre dans un second temps, un désengagement social. Cette perte de lien avec l’extérieur devient alors un danger pour des sujets qui ont justement besoin d’une aide constante, qui ne peuvent pas se permettre d’être isolés. Dans ce sens, une étude récente, sur des patients atteints de maladie rénale chronique de stade trois à cinq, démontre une corrélation certaine entre la perte de mobilité, l’isolation sociale et la pathologie chronique.[33] Une approche phénoménologique nous permet de mettre en évidence un second cercle vicieux quasiment identique mais cette fois au niveau psychique. Il vient se superposer au premier. Les malades tombent dans un état dépressif qui va dans un deuxième temps causer un double ralentissement de leur temporalité implicite. La dimension dynamique-affective est altérée rendant difficile les échanges affectifs et l’expression émotive avec autrui. A cela s’ajoute une désynchronisation sociale, en terme phénoménologique, une perte de contemporanéité basale. Le malade n’est plus temporellement connecté aux autres. Cette double altération conduit généralement à une isolation ; le patient qui se sent à la fois coupable et piégé se désengageant généralement de toute activité sociale.

Les insuffisants rénaux chroniques paraissent donc pris dans un double cercle vicieux, au niveau somatique et au niveau psychique, qui les conduit inexorablement vers un isolement, cause de surmortalité pour eux et pour leurs aidants.

Alors qu’il serait facile de recommander un accompagnement par des assistantes sociales, cette menace de rupture sociale chez les patients hémodialysés ne semble ni prise en considération par la Clinique de X. ni par la Haute Autorité de Santé qui n’en parle pas dans ses rapports.

2.          UN ENVIRONNEMENT DE DIALYSE QUI POSE QUESTION

 

Pour pouvoir proposer des solutions aux souffrances des patients hémodialysés, il me semble important, dans cette deuxième partie, de faire une synthèse des différentes plaintes entendues et des dysfonctionnements institutionnels observés. L’idée n’est pas ici d’incriminer les médecins et les personnels de soin qui ont à cœur de maintenir la vie de leurs patients mais plutôt d’afficher les failles du système dans son ensemble.

 

A.     Des néphrologues comme seul médecin

 

Les ordonnances des patients que j’ai suivis pendant six mois étaient « à rallonges ». Émises par les néphrologues du service, elles prescrivaient, chaque mois, des médicaments pour toutes les pathologies dont ils souffraient : insuffisance rénale, diabète, hypertension artérielle, troubles cardiaques…. J’y ai également découvert des prescriptions d’anxiolytique. Il apparaît donc que les néphrologues, une fois le malade entré en dialyse, deviennent l’unique médecin référent. En guise de consultation, ils font, tous les jours, le tour des lits du service de dialyse. Ils s’arrêtent au chevet de chaque malade cinq minutes tout au plus. Composant avec leur incapacité fonctionnelle, les patients succombent à la facilité et trouvent très pratique le fait de n’avoir qu’un seul médecin. Comme écrit en supra, le traumatisme causé par la perte des reins et par la menace d’une mort imminente placent les insuffisants rénaux chroniques dans une forme d’idéalisation du corps médical.  La confiance que place ces derniers dans les néphrologues est donc souvent aveugle. L’idée n’est pas ici de déresponsabiliser les malades de cet état de fait. Ce ne serait pas leur rendre service. Mais, je souhaite plutôt mettre l’accent sur le fait que les néphrologues et plus largement l’institution ont une responsabilité éthique accrue dès le moment où ils acceptent de prendre en charge, dans la durée, des patients si diminués. Il est désormais reconnu que, pour être optimisée, la prise en charge des malades en affection longue durée doit être pluridisciplinaire. Elle doit être répartie entre la médecine institutionnelle, la médecine de proximité et également le secteur paramédical. Nous avons mis en relation la prévalence, chez les insuffisants rénaux chroniques, de troubles du sommeil, de trouble neurologiques, de troubles musculaires et de la dépression. Or, aucun de mes sept patients n’avait consulté de neurologue ou de psychiatre. Quand certaines études avancent que le syndrome d’impatience de l’éveil chez les patients en insuffisance rénale chronique accroît la mortalité dans les deux à cinq ans, et quand nous savons qu’il existe désormais plusieurs traitements efficaces, il est indispensable de rediriger les malades vers un spécialiste compétent. Nous avons également mis en lumière que la perte de mobilité due aux douleurs musculaires favorisait la dépression. Cette dernière serait, elle-même, à l’origine d’une forte surmortalité. La surveillance des malades par des rhumatologues et des psychiatres devrait donc être une priorité.

 

B.      Des patients peu redirigés vers d’autres spécialistes à part s’ils officient dans la clinique

 

Durant mes six mois passés à la Clinique de X., les patients n’étaient redirigés vers d’autres spécialistes que si ceux-ci officiaient dans l’institution. Handicapé par des douleurs musculaires et des impatiences dans les jambes, Monsieur I., fut finalement redirigé vers un rhumatologue de l’institution. D’autres patients se sont également rendus au service d’imagerie médicale. Ce fut le cas pour Madame T. après une perte d’équilibre en fin de dialyse. Ces différentes consultations ne semblaient jamais conduire à une amélioration de l’état du malade. Un seul patient a été envoyé vers une structure extérieure mais il s’agissait d’une urgence vitale. Quand Madame U. déclara un AVC pendant son traitement, elle fut transférée en urgence à l’hôpital. Ce temps partagé entre l’hôpital pour sa rééducation et la clinique pour sa dialyse lui a d’ailleurs été très profitable et devrait préfigurer d’un parcours de soin davantage centré sur le patient.

Ce mode de fonctionnement essentiellement centré sur la clinique donne la dérangeante impression que la finalité de la prise en charge des patients est essentiellement financière.

 

C.     Une relation entre les personnels soignants et les malades trop technique

 

En France, les centres de dialyse sont très réglementés. Ils sont notamment soumis à des contraintes spécifiques en matière de personnel soignant. Ainsi, pour pouvoir fonctionner, le centre doit pouvoir justifier d’au moins un infirmier pour quatre patients et d’un aide-soignant

pour huit patients. Ce souci d’exigence s’explique, en partie, par la complexité du traitement et la fragilité des malades. Les générateurs de dialyse sont des machines assez complexes et le branchement des patients via les fistules artério-veineuses peut s’avérer délicat. De fait, les infirmiers diplômés d’état (IDE) sont spécifiquement qualifiés. Une grande partie de leur travail auprès des malades est donc technique.

Durant les six mois passés dans le service de dialyse de la Clinique de X., j’ai constaté peu d’échanges entre les personnels soignants et les patients. Le générateur émet régulièrement des alertes et les infirmiers sont toujours très rapides pour effectuer les manipulations requises mais ces allées et venues auprès des patients étaient toujours silencieuses. Comme le montre l’entretien de Monsieur K. du jeudi 25 novembre 2021 (cf. supra), les patients semblent même un peu effrayés par le personnel. Malgré plusieurs demandes au cours de mon stage, je n’ai pas réussi à décrocher d’entretiens individuels avec les membres de l’équipe donc je ne peux pas donner ici les raisons de cette distance vis-à-vis des malades. Je peux juste supposer que la technicité de leur fonction restreint leur empathie ou que les conditions de travail, comme c’est le cas en ce moment dans la majorité des institutions françaises, sont devenues trop difficiles.

Il n’en demeure pas moins que le soutien social, en particulier celui des équipes d’hémodialyse, est un facteur très important pour la qualité de vie et l’espérance de vie des patients.[34] Nous savons par exemple que les malades montrent une meilleure adhésion aux restrictions hydriques s’ils reçoivent des encouragements de l’équipe de dialyse.[35] Ce dysfonctionnement dans la relation thérapeutique entre les insuffisants rénaux chroniques et le personnel soignant apparaît donc hautement préjudiciable.

 

D.     Des patients mal informés sur leur prise en charge

 

A la Clinique de X., les patients hémodialysés présentaient une étrange méconnaissance de leurs traitements et des protocoles de soin. Ils étaient presque toujours incapables de me donner le nom des médicaments qu’ils prenaient ou des médecins qu’ils consultaient. Ils évoluaient dans une sorte de flou médical.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur K. du jeudi 9 décembre 2021.

 

Monsieur K. a été isolé dans un bloc. Je lui demande s’il a été déplacé pour une raison particulière. Il ne sait pas, ne comprend pas. Cela le met en colère. Il souffre toujours de douleurs aux pieds. Depuis ce matin, les antibiotiques sont terminés. Il n’a aucune information sur la suite et l’infirmière a besoin d’une prescription pour continuer à lui appliquer la crème. Je lui demande s’il en a parlé au docteur. Monsieur K. me répond en bafouillant. Il s’agace contre le docteur qui doit le rappeler.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 3 mars 2022.

 

Le moral du patient ne paraît pas très bon ce matin. Il ressent toujours des douleurs aux jambes. Il a besoin de les bouger tout le temps. C’est difficile pour lui de rester allonger tout le temps de la dialyse. Il a passé un doppler à la clinique il y a dix jours et il prend des médicaments. Quand je lui demande plus de détails, il semble, comme toujours, incapable de m’expliquer en détail la situation : quel médecin ? quel examen ?  quel médicament ? A nouveau, j’évoque le syndrome des jambes sans repos. Il ne semble pas comprendre ce dont je lui parle et change de sujet.

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur Y. du Vendredi 8 Avril 2022.

 

Monsieur Y. est fatigué ce matin. Il rencontre quelques difficultés pour se remettre de son hospitalisation de la semaine dernière. Il m’assure qu’il a failli y passer et qu’il va désormais redoubler de rigueur. Sa femme avait voulu bien faire pour son retour à la maison. Elle était allée jusqu’à la pharmacie pour acheter du sel de régime. Ils ne savaient pas que c’était mortel pour un malade tel que lui. Il a eu très peur !

 

Il est difficile de définir si ce sont les patients, dans une position de dépendance et de confiance aveugle au corps médical, qui se désintéressent totalement de leur prise en charge ou s’ils ne sont pas suffisamment informés. Cette situation demeure cependant très problématique. Elle les prive d’une connaissance qui pourrait leur redonner une capacité d’agir et les sortir de leur état dépressif. Ils ne sont aussi pas à même de choisir, en connaissance de causes, les options thérapeutiques dont ils pourraient bénéficier. Cette ignorance peut enfin avoir des conséquences tragiques. Monsieur Y. a, par deux fois, été hospitalisé en urgence vitale par méconnaissance de son traitement ou des restrictions. La première fois, il a fait une overdose des antalgiques que le néphrologue lui avait prescrit pour des douleurs aux hanches et la seconde fois à cause d’une hyperkaliémie provoquée par du sel de régime. Comme nous le verrons en infra, les programmes d’éducation thérapeutique sont désormais recommandés par l’HAS mais la Clinique de X. n’en a pas dispensé depuis plusieurs années.

 

E.      Une communication parfois défaillante entre les services

 

A la Clinique de X. la gestion des dossiers médicaux des patients est informatique. Le service de dialyse n’échappe pas à la règle mais il dispose d’un système d’information différent du reste de l’institution car il est synchronisé avec les générateurs. Cela permet de récupérer les données des séances de dialyse. Il n’existe pas d’interface pour faire communiquer les deux systèmes donc les malades disposent de deux dossiers dès lors qu’ils ont été hospitalisés dans un autre service. Pour des raisons évidentes de sécurité, comme dans tout bon système de gestion informatique, il faut bénéficier des autorisations adéquates pour pouvoir consulter un dossier sur chacun des logiciels. Si un insuffisant rénal chronique est hospitalisé en cardiologie par exemple, le cardiologue n’aura donc pas forcément accès au dossier du patient en néphrologie ; et le néphrologue ne pourra peut-être pas suivre l’évolution de son patient dans l’autre service. Cette spécificité informatique du service de dialyse peut s’avérer très handicapante pour les malades et les équipes soignantes lors des prises en charges interservices. Je souhaiterais citer le cas de Monsieur A., patient que je suivais, et dont j’ai appris l’hospitalisation en fin de vie au réfectoire de la clinique. Avec l’aide de ma tutrice Madame P. nous avons alors tenté de comprendre la situation du malade en consultant ses dossiers médicaux. En médecine générale, rien n’était écrit à part l’hospitalisation en fin de vie. Sur le logiciel de dialyse, il était noté que le patient avait retrouvé une meilleure santé, qu’il était « ressuscité », et qu’il était attendu pour sa dialyse dans l’après-midi. Dans l’incompréhension, nous avons ensuite appelé le néphrologue qui nous a dit ne pas être au courant de l’hospitalisation de son patient. Il semblait très énervé. Monsieur K. est décédé quelques jours plus tard dans des circonstances assez difficiles. Cette faille de communication interservices pourrait être limitée par des réunions régulières pluridisciplinaires qui feraient intervenir les différents spécialises. Je n’ai pas eu connaissance de l’existence de telles réunions dans l’institution. Au sein du service de dialyse, il ne se tient également aucune réunion clinique en équipe pluridisciplinaire pour rassembler les néphrologues, les infirmiers, la diététicienne et la psychologue de l’établissement et discuter des patients. Les quelques informations que l’on souhaite transmettre doivent être rédigées sur un cahier qui est conservé dans le poste de soin. Cela engendre régulièrement des incompréhensions dans le suivi des malades. Comme évoqué à plusieurs reprises les patients hémodialysés s’en remettent aveuglément aux équipes soignantes et ils ne sont pas à même de repérer les dysfonctionnements. Ils pensent le corps médical omniscient et ne transmettent pas toutes les informations. Ils sont persuadés que les médecins sont déjà au courant de tout.

 

F.      Aucun(e) diététicien(ne) dédié(e) aux patients dialysés

 

La nutrition joue un rôle primordial dans les maladies rénales chroniques. A partir du stade trois, certaines substances sont à éviter. En phase terminale, les quantités de liquides, de potassium et de phosphore absorbées par les malades doivent être extrêmement réduites. Il est donc très important de sensibiliser les patients à ces contraintes. C’est le rôle des diététicien(ne)s. La Haute Autorité de Santé a d’ailleurs consacré deux indicateurs de qualité et de sécurité des soins (IQSS) à la nutrition dans son contrôle de la prise en charge des patients dialysés : le statut nutritionnel (NUT), et la consultation diététicienne (CDT). Cependant, pour l’HAS, la surveillance nutritionnelle est avant tout orientée vers la prévention, la néphro-protection. La consultation diététicienne est obligatoire quand une maladie rénale chronique est diagnostiquée dans le but de ralentir sa progression.

A la Clinique de X., Madame U. L. officie comme diététicienne depuis moins d’un an. Elle est rattachée au service de néphrologie. Sa fiche de poste indique qu’elle doit recevoir les patients diagnostiqués pour une consultation unique. De son aveu, on lui a fait comprendre qu’il était préférable de multiplier les rendez-vous uniques plutôt que de revoir les mêmes malades à plusieurs reprises. En effet, à partir de cent-cinquante consultations diététiciennes annuelles (de patients différents), l’établissement est éligible à une subvention de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH). Madame U. L. aime le travail bien fait et reçoit quand même les patients plusieurs fois.

De son côté, le service de dialyse n’a, officiellement, pas de diététicien(ne) dédié(e). Bien que son bureau se trouve dans ce service, Madame U. L. n’a pas pour tâche de se rendre au chevet des patients hémodialysés. Ce n’est pas inscrit sur sa fiche de poste et la cadre du service de néphrologie n’a pas manqué de le lui rappeler quand elle l’a aperçue en train de donner des conseils à ces patients. Comme nous l’avons évoqué en supra, les restrictions hydriques et alimentaires ont une incidence non négligeable sur le bien-être des patients et sur la manière dont ils vont appréhender leur pathologie. Quand elles sont mal acceptées, les insuffisants rénaux chroniques en stade terminal vont avoir tendance à perdre la notion de plaisir avec pour conséquence une perte d’appétit et de poids. Même avec la meilleure volonté, Madame U. L. qui n’est présente à la clinique que deux jours par semaine ne peut pas, seule, effectuer cent-cinquante consultations diététiciennes de néphro-protection et rencontrer régulièrement les quatre-vingt patients hémodialysés. A nouveau, la logique de rentabilité semble prendre le pas sur les questions de santé.

 

G.     Une prise en charge médico-psychologique limitée et psychiatrique inexistante

 

La Clinique de X. ne dispose d’aucun psychiatre. Une seule psychologue, Madame P. officie sur l’ensemble des services. Sur sa fiche de poste originale, il était noté : « Domaine de responsabilité : Maternité + Oncologie (médecine, chirurgie/orthopédie, soins continus) ». A sa demande, la direction a accepté de rajouter le service de dialyse. Très occupée avec la prise en charge des patients de l’ensemble de l’établissement, il est impossible pour la psychologue clinicienne de prendre en charge l’ensemble des patients hémodialysés. Au mieux, elle peut descendre à la demande des équipes soignantes pour une consultation d’urgence. Constatant le besoin, Madame P. a constitué en octobre dernier une équipe de trois stagiaires en psychologie clinique qui n’était assignée qu’au service de dialyse.

Comme nous l’avons établi, les patients hémodialysés sont confrontés à une souffrance psychologique intense. L’omniprésence de la mort, la culpabilité, les restrictions alimentaires et hydriques, l’incapacité fonctionnelle et la dépendance aux aidants les prédisposent à la dépression sévère. Dépression qui, à elle seule, est une cause de surmortalité importante chez ces malades.

Pour être prise en charge efficacement, la dépression requiert souvent un traitement médicamenteux qui ne devrait être prescrit que par un psychiatre, et le suivi d’une psychothérapie. Aucun de mes patients n’avait consulté de médecin psychiatre et aucun ne prenait d’antidépresseurs. Les syndromes dépressifs n’avaient pas été diagnostiqués. Face à ce constat, un pont entre la néphrologie et les spécialités de la santé mentale devrait être obligatoire, comme c’est le cas en oncologie. Même s’il n’est théoriquement pas habilité à en faire le diagnostic, un psychologue clinicien est en mesure de repérer les signes de la dépression. Il sait également rediriger les patients vers un psychiatre quand cela s’avère nécessaire. A la Clinique de X., plusieurs facteurs semblent freiner la mise en place d’une telle prise en charge et le diagnostic psychopathologique. Il n’y a pas de psychiatre dans l’établissement. La psychologue référente de l’institution n’a pas le temps de se consacrer à un tel nombre de patient. Les infirmiers et aides-soignants sont peu à l’écoute des malades. Et, les néphrologues paraissent rechigner à rediriger leurs patients vers des spécialistes externes ou des établissements concurrents. Ils pensent être à même de prendre en charge les souffrances psychiques des patients hémodialysés en prescrivant des anxiolytiques. La mise en place d’une équipe de stagiaires psychologues est une bonne initiative mais à la vue de la fragilité des insuffisants rénaux chroniques de stade 5, un poste de psychologue clinicien chevronné devrait être créé au sein du service.

 

H.     Un statut de malade externe qui ne facilite pas une prise en charge complète

 

Bien que les insuffisants rénaux chroniques en stade terminal passent quinze heures par semaine à la Clinique de X., ils ne sont pas considérés comme des patients internes. Ils n’ont donc pas le droit à l’offre de soin de l’établissement comme ce serait le cas s’ils étaient hospitalisés.

Les patients hémodialysés souffrent souvent de problèmes de motricité, de frustration vis à vis de leur régime alimentaire, et de troubles psychologiques. À la clinique, des kinésithérapeutes, une nutritionniste spécialisée dans les MRC, et une psychologue clinicienne officient et pourraient leur apporter un soutien précieux. Cependant, tous ces spécialistes du paramédical sont réservés aux patients hospitalisés. Les malades qui fréquentent le centre de dialyse ont officiellement eu droit à une consultation diététicienne. L’établissement leur autorise une consultation psychologue prise en charge. Si dans un deuxième temps, ils souhaitent revoir la diététicienne et la psychologue, ils doivent prendre un rendez-vous et payer les consultations. Il s’agit de frais non négligeables pour des individus qui n’ont généralement plus de travail. Comme ils passent déjà beaucoup de temps à la clinique, revenir pour un rendez-vous leur est également fastidieux.

Au final, les patients hémodialysés sont ceux qui rapportent le plus d’argent à la clinique (entre 340 et 380 euros par séance soit entre 53040 et 59280 euros par an) mais aussi ceux avec le moins de privilèges.

 

I.       Un matériel vieillissant

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 27 janvier 2022.

 

En entrant dans le service, je tombe directement sur Monsieur I. . Il est assis sur son lit et joue au solitaire sur sa tablette. Je lui demande comment il va. Il me répond d’un petit râle. Énervé, il m’explique que le mécanisme de son lit est cassé et qu’il ne peut ni le monter, ni le baisser. Il me montre ses pieds qui ne touchent pas le sol. Je le trouve particulièrement agité : ses mains tremblent et ses pieds bougent beaucoup.

 

Les patients passent presque un quart de leur temps dans le service d’hémodialyse de la Clinique de X. Après un rapide passage à la pesée, ils sont installés sur des lits médicaux dans lesquels ils resteront au minimum quatre heures. Au-dessus de chaque lit, un petit écran plat est disposé pour leur permettre de passer le temps plus agréablement. Un des problèmes récurrent du service est justement lié à ces téléviseurs. Pour une raison mystérieuse, certaines télécommandes changent les chaînes sur plusieurs écrans. Monsieur Y. est le premier à m’avoir parlé de ce dysfonctionnement durant un entretien.  Il ne comprenait pas pourquoi depuis des années, ce problème n’avait pas été résolu. Certains lits sont également cassés. Comme me l’avait expliqué Monsieur I. , le système hydraulique est en panne et le patient ne peut plus en régler la hauteur. De prime abord, ces dysfonctionnements matériels ne semblent pas graves. Ils génèrent cependant un inconfort pour des malades déjà très fragilisés. Plus encore, ils donnent à des patients déjà psychologiquement meurtris le sentiment de ne pas être important, de ne pas être considéré ! Ce qui peut encore renforcer leur détresse.

Quand j’ai quitté l’établissement, des travaux d’agrandissement de la clinique étaient en cours. Au risque de me répéter, le service de dialyse est très lucratif mais, de l’aveu même de la cadre de santé, très peu de moyens lui sont alloués.

 

J.       Aucune prise en charge sociale

 

Aucun(e) assistant(e) sociale ne travaille à la Clinique de X. . Dans les établissement de santé, leur rôle est pourtant primordial. Ce sont elles qui évaluent l’impact de la maladie sur l’environnement social des patients et qui entretiennent le lien entre l’institution et l’extérieur. Elles savent, par exemple, évaluer les conséquences de la maladie chronique sur la famille, le logement, le budget, et en cas de besoin demander des ouvertures de droits.

Les patients hémodialysés rencontrent une forte incapacité fonctionnelle. Ils ne sont souvent plus en capacité de travailler. Leur dépendance aux aidants est quasi-totale. Certains d’entre eux sont célibataires, veufs ou sans enfant. Ils n’ont à proprement parler personne pour les aider. D’autres sont mieux entourés mais leurs aidants sont épuisés. Dans ce contexte, la présence d’une assistante sociale serait une aide plus que précieuse. Dans le service de dialyse de la Clinique de X., c’est la secrétaire qui a la charge de donner un petit coup de mains aux patients dans leur démarche. Secrétaire qui ne travaille d’ailleurs pas à temps plein. C’est en particulier elle qui s’occupe de trouver une place de dialyse aux insuffisants rénaux chroniques qui doivent se déplacer dans une autre région pour des vacances (cf. supra « Compte-rendu de l’entretien de Madame T. du jeudi 3 mars 2022 »). Les patients comptent beaucoup sur elle mais également sur les infirmiers qui finissent par se plaindre de recevoir des demandes qui ne sont pas dans leurs attributions. Ces plaintes sont tout à fait légitimes. Mais en l’absence d’assistante sociale, les malades ne savent pas vers qui se tourner. Le résultat de cette situation est que les patients n’osent plus rien demander et s’isolent. Ils finissent par sombrer dans un état dépressif qui va encore renforcer leur incapacité fonctionnelle et leur isolement.

 

3.     QUELLES SOLUTIONS POUR AMÉLIORER LA SITUATION DES PATIENTS HÉMODIALYSÉS

 

A.     Une approche thérapeutique centrée sur le patient

 

Compte tenu des dysfonctionnements relevés à la Clinique de X. , il semble urgent de recentrer la politique de soins de l’établissement sur les patients. Actuellement, l’impression générale serait plutôt celle d’une démarche centrée sur la maladie et sur le profit… Pour illustrer cela, je souhaiterais citer une phrase prononcée à deux reprises par Monsieur Y. qui tout au long de nos entretiens avait développé une analogie entre son cheval Jupiter et lui : « Pour ces gens-là (les propriétaires de chevaux de course), le cheval est un salaire. Quand ils ne sont plus utiles, s’ils sont trop vieux ou blessés, ils les abandonnent ou les euthanasient ». Les patients hémodialysés, même s’ils ne le signifient pas toujours explicitement, partagent ce sentiment d’être principalement une source de revenus pour la clinique.

Selon l’HAS, « la démarche centrée sur le patient s’appuie sur une relation de partenariat avec le patient, ses proches, et le professionnel de santé ou une équipe pluriprofessionnelle pour aboutir à la construction ensemble d’une option de soins, au suivi de sa mise en œuvre et à son ajustement dans le temps ».[36] Cette complémentarité entre l’expertise des équipes soignantes mais aussi celle des patients qui s’est développée au fil de la chronicité se fonde sur une personnalisation des soins, le développement et le renforcement des compétences du patient, et une continuité des soins dans le temps. Dans une approche centrée sur le patient, la médecine et les preuves scientifiques sont importantes mais l’attention est d’avantage portée sur les buts, les valeurs et les préférences des sujets atteints d’une pathologie chronique. On parle également de « patients experts » car au fil du temps, les malades développent une connaissance fine de la pathologie chronique et des traitements. Leurs observations peuvent avoir une très forte valeur ajoutée dans la prise en charge thérapeutique et devrait permettre de proposer à chacun un traitement adapté.

Dans le cas de l’insuffisance rénale chronique, les patients ont beaucoup de mal à manifester cette expertise s’ils n’y sont pas fortement encouragés. La menace d’une mort imminente est telle que les patients n’ont pas le courage de contredire « les sachants ». Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprise, ils adoptent la posture inverse, celle de la confiance aveugle dans la médecine.

Au cours de mes entretiens en service dialyse, j’ai cependant régulièrement constaté cette expertise qu’ils murmurent à demi-mots et qui prend la forme d’intuitions. Elles se portent souvent sur la durée des séances, sur certains effets indésirables qu’ils sentent liés au traitement, ou encore sur les consignes diététiques. Dans notre entretien du jeudi 31 mars (cf. supra), Madame T. me faisait part d’une sensation de fatigue inhabituelle depuis quelques jours. Elle avait demandé au néphrologue de réduire temporairement la durée des séances. Dans une approche centrée sur la maladie, sa requête n’avait pas été prise en compte. Cela aurait été le cas dans une approche centrée sur le patient. Tout du moins, un dialogue aurait pu être ouvert. A l’inverse Monsieur G, qui n’est pas très à l’aise avec les restrictions hydriques, avait pointé la fréquence des dialyses. Les week-ends, la coupure de deux jours est trop longue. Il prend trop de poids. Cet excès de liquide dans son corps, le conduit, le lundi, à de séances de filtration plus longues qui l’épuisent pour une bonne moitié de la semaine. Peut-être serait-il plus pertinent, dans le cas de Monsieur Y., de programmer les deux jours sans dialyse en semaine pour qu’il soit moins soumis à la tentation d’absorber trop de liquides comme c’est le cas les week-end car il reçoit régulièrement ses enfants.

Typiquement, une démarche centrée sur la personne pourrait démarrer par une refonte du planning des dialyses. L’obligation, pour les malades, de passer cinq heures par jour trois fois par semaine au centre demeure sans doute le facteur prépondérant de leur décrochage social. C’est souvent la raison principale de la cessation de leurs activités professionnelles.

 

 Compte-rendu de l’entretien de Monsieur Y. du lundi 17 janvier 2022.

 

Monsieur Y. s’est enfin décidé à suivre le programme de diététique de l’hôpital de F. . Dans un premier temps, il doit y passer une semaine pour faire baisser son diabète.  Ensuite, fin février, il y séjournera quinze jours pour maigrir. Mais à cause de sa dialyse, il risque de rater les activités sportives du matin, ce qui est ennuyeux. Je lui propose de déplacer sa séance de dialyse l’après-midi. Il s’énerve un peu et me répond que c’est hors de question. Les places sont trop rares le lundi matin et il risque de perdre la sienne.

 

 

 

Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 3 mars 2022.

 

Monsieur B me montre ensuite des photos de lui à un rassemblement d’anciens combattants. Je lui demande s’il va régulièrement à de telles réunions. Avant, il s’y rendait tous les samedis pour y passer du temps avec ses amis. Désormais, il ne peut plus car cela tombe un jour de dialyse. Quand je lui soumets l’idée qu’il pourrait faire une demande pour décaler les jours, il rejette le sujet.

 

Dans la majorité des cas, à leur entrée en dialyse, les malades ne semblent pas avoir eu d’autres choix que d’accepter un créneau horaire disponible. Ce qui est d’ailleurs plutôt logique, la clinique ne peut pas, à chaque entrée d’un nouveau malade, réorganiser tout le planning. Cependant, il ne me paraît pas impossible, une fois par an, de recomposer les horaires après avoir consulté tous les malades. Dans le cas de Monsieur I., ancien militaire, les séances du samedi l’ont privé des rassemblements hebdomadaires avec ses amis anciens combattants. Il m’a plusieurs fois parlé de ces réunions qui étaient pour lui, avant sa maladie, l’une de ses principales distractions. Cette rupture de lien est une source de souffrance inutile pour le patient. Il suffirait juste d’inverser les jours de dialyse avec un autre patient qui en serait peut-être également ravi. Monsieur Y., de son côté, doit impérativement perdre du poids pour être éligible à une greffe de rein. Début Février, il avait décidé de se prendre en main et de suivre un programme dans un établissement spécialisé en diététique. Il aurait suffi de déplacer sa dialyse du matin en après-midi pendant quinze jours pour qu’il puisse suivre l’intégralité du programme et mettre toutes les chances de son côté. Cependant, il eut tellement peur qu’une telle requête lui porte préjudice qu’il ne la formula jamais.

Nous voyons bien comment le changement de paradigme de l’approche centrée sur la personne pourrait significativement diminuer les souffrances des patients hémodialysés.

 

B.      La mise en place de programmes d’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP)

 

Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé, « l’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec la maladie. Il s’agit d’un processus permanent, intégré dans les soins et centré sur le patient. Cette éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion, et de soutien psychologique, concernant la maladie et le traitement prescrit, les soins, les informations organisationnelles et les comportements de santé et de maladie. L’éducation thérapeutique vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie ».[37] En France, la loi du 4 mars 2002[38] a redéfini la place des usagers au cœur des politiques de santé publique, et a énoncé les objectifs d’une politique de prévention en évoquant, pour la première fois, les programmes d’ETP. Enfin, en 2009, la loi « Hôpital, Patient, Santé et Territoire »[39] (HSPT) a posé un cadre à ces dernier. Pour en avoir beaucoup discuté avec la diététicienne de la Clinique de X. , je sais que la Haute Autorité de Santé pousse fortement pour la mise en place de programmes de ETP dans les services tel que celui de dialyse avec pour objectif de développer chez les patients des compétences d’auto-soin et d’adaptation.[40] Ces programmes doivent permettre au patient de reprendre du pouvoir d’agir en s’impliquant dans la prise en charge de la maladie. Pouvoir d’agir qui comme nous l’avons vu fait défaut aux patients hémodialysés en prise avec une incapacité fonctionnelle chronique. Ils visent également à augmenter l’observance des traitements. Dans le cas des insuffisants rénaux chroniques, cela aboutirait à un meilleur respect des recommandations diététiques.

Voici quelques pistes pour créer un programme d’éducation thérapeutiques qui pourraient, je pense significativement améliorer le bien-être des patients.

 

1)    Créer des programmes de groupe

 

Les patients hémodialysés passent beaucoup de temps au centre. A leurs yeux, il s’agit d’un temps perdu. Il est donc très difficile de leur demander de revenir à la clinique un temps supplémentaire pour participer à un programme d’ETP. D’un autre côté, ces patients sont déjà quinze heures par semaine dans l’institution. Ils sont immobilisés sur des lits et s’ennuient. Ce temps pourraient être mis à profit. Les lits sont proches les uns des autres, les patients se connaissent tous ; l’enseignement pourrait ainsi être dispensé par petits groupes. Occasionnellement, il paraît également possible de demander aux patients de rester une heure de plus pour participer à des ateliers.

 

2)    Intégrer et former les aidants

 

Dans ses recommandations sur l’éducation thérapeutique du patient, la Haute Autorité de Santé encourage l’implication de l’entourage dans la gestion de la maladie, des traitements et des répercussions qui en découlent. Dans le cas des patients hémodialysés qui présentent une très forte dépendance, cette recommandation apparaît encore plus pertinente. La famille des insuffisants rénaux chroniques en stade terminal joue un rôle prépondérant dans leur prise en charge thérapeutique. Ce sont les aidants qui préparent généralement les repas et qui doivent donc faire attention aux restrictions. Dans certains cas, ils aident les malades à faire leur toilette. Ceux sont finalement souvent eux qui s’occupent du traitement de ces derniers quand ils ne sont pas dans l’institution. Les aidants devraient donc participer aux programmes d’ETP ou, si ce n’est pas possible, a minima participer à un atelier spécifique qui en résumerait les points essentiels.

 

3)    Expliquer aux malades l’insuffisance rénale chronique

 

Durant mes entretiens avec des patients hémodialysés, j’ai été frappé par leur méconnaissance de la maladie qui les avait frappés. Madame T., qui avait pourtant travaillé des années comme infirmière, m’a un jour demandé à quoi servait la pesée effectuée avant chaque séance. La compréhension des mécanismes biologiques de la pathologie est indispensable pour que les patients puissent appréhender le traitement par hémodialyse et accepter les restrictions alimentaires et hydriques. Il ne s’agit pas d’abreuver les sujets d’un discours scientifique inintelligible mais plutôt de vulgariser le fonctionnement des reins et les conséquences de leur absence. L’acte de verbalisation peut également permettre d’estomper toute la dimension fantasmatique souvent présente autour des organes avec pour conséquence une meilleure acceptation de la maladie.

 

4)    Expliquer aux malades l’hémodialyse

 

Les patients hémodialysés passent douze heures par semaine branchés à une machine sur laquelle ils n’ont aucune connaissance. Pire, il leur est formellement interdit d’interagir avec elle. Il ne s’agit pas d’une simple machine mais d’une extension de leur corps, d’un organe artificiel. Le générateur de dialyse est souvent connoté négativement par les patients. Il vient sans cesse leur rappeler la perte de leurs reins et le fait que leur vie ne tient plus qu’à un fil. D’un autre côté, cette machine pourrait être abordée avec curiosité au travers d’un atelier qui insisterait sur la prouesse qu’elle réalise. A cette occasion, assistés par des animateurs, les patients pourraient interagir un peu avec le générateur et apprendre le fonctionnement des différents mécanismes et des boutons qui la pilote. En plus d’un travail de dédiabolisation, la compréhension du processus de dialyse replacerait les malades dans une posture active et impliquée lors de leurs séances. Cela leur permettrait de reprendre un peu la main sur une partie très importante du traitement qu’ils vivent pour l’instant en total passivité.

 

5)    Un atelier centré sur la diététique

 

Les restrictions hydriques et alimentaires sont perçues par les malades comme une véritable punition. Leur non observance a des conséquences directes sur le traitement car elle augmente le temps passé en dialyse, et sur la bonne santé des patients. Au final, très peu de produits sont proscrits pour les insuffisants rénaux chroniques. Il leur est juste demandé de réduire la taille des portions et de varier les aliments. Ce qui est finalement ressenti comme quelque chose de punitif pourrait être appréhendé comme une opportunité de manger plus sainement et plus équilibré. La cuisine se prête merveilleusement bien aux ateliers. C’est une discipline divertissante qui intéresse généralement le plus grand nombre. Au sein d’un programme d’ETP, un atelier diététique pourrait enseigner de façon ludique les aliments qui sont très concentrés en sel, en phosphore et en potassium, et proposer des recettes de cuisine adaptées à la pathologie.

 

6)    L’entretien de la fistule artério-veineuse

 

La fistule artério-veineuse, souvent réalisée avant l’entrée en dialyse sur le bras des patients, est un élément essentiel du traitement. Cet acte chirurgical qui intervient rapidement après le diagnostic d’insuffisance rénale chronique terminal est parfois difficile à accepter pour les patients qui peuvent y voir une mutilation de leur corps. Mise à contribution à chaque branchement c’est-à-dire toutes les quarante-huit heures, la fistule doit cependant être entretenue avec précaution. Si elle s’infecte ou se bouche, les branchements deviennent difficiles et très douloureux comme ce fut le cas pour Monsieur I. (cf. supra, Compte-rendu de l’entretien de Monsieur I. du jeudi 31 mars). C’est pourquoi il me paraitrait important d’intégrer au programme d’ETP un atelier sur les fistules artério-veineuse. Comme dans le cas du générateur de dialyse, il permettrait aux patients de mieux accepter cet élément du traitement et de connaître les bonnes pratiques pour son entretien quotidien.

 

C.     Structurer une prise en charge pluridisciplinaire

 

Depuis trente ans, tous les nouveaux dispositifs de prise en charge des maladies chroniques, que ce soit le « disease management » (DM) ou le « chronic care model » (CCM) affirment l’importance d’un travail en équipe pluridisciplinaire.[41] Même s’il n’est pas évident pour un établissement privé d’adopter l’intégralité des recommandations de ces dispositifs, la coordination des soins par différentes spécialités médicales et paramédicales peut être assez facilement mise en place.

 

1)    La création d’un poste d’assistant(e) social(e), d’un poste de psychologue, et d’un poste de diététicien(ne) dédiés au service de dialyse

 

Le service de dialyse de la Clinique de X. qui reçoit plus de quatre-vingt patients par jour, dont une partie présente un décrochage social et des souffrances psychiques, devrait pouvoir proposer des solutions d’accompagnement adaptées. La seule psychologue de l’établissement ne peut pas prendre en charge autant de malades sur la durée. À l’heure actuelle, aucune solution pérenne n’existe pour soutenir les malades dans leurs démarches avec l’extérieur. Enfin, la diététicienne présente deux jours par semaine en néphrologie n’a pas pour attribution d’aider les patients hémodialysés. Pour pouvoir mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire, le service de dialyse doit, dans un premier temps, se doter d’un(e) assistant(e) social(e), d’un(e) diététicien(ne) et d’un(e) psychologue qui seront des référents disponibles pour accompagner les malades au quotidien et partager leur savoir-faire spécifique dans les réunions cliniques.

 

2)    La mise en place de réunions cliniques

 

Les réunions cliniques ou réunions médicales ont pour objectif de faire un point sur la prise en charge des patients. Sous la direction d’un médecin, elles rassemblent des membres de l’équipe médicale et paramédicale et permettent le partage des informations collectées par les différents soignants au cours des derniers jours ou des dernières semaines. A l’issue des discussions, le médecin et l’équipe soignante peuvent décider de faire évoluer la prise en charge afin de s’adapter à une situation spécifique.

A ma connaissance, aucune réunion clinique régulière n’est en place à la Clinique de X. et si c’est le cas, la psychologue de l’établissement et la diététicienne du service de néphrologie ne sont pas tenues d’y assister. Il s’agit pourtant du dispositif de base dans la prise en charge des maladies chroniques. L’instauration de réunions médicales hebdomadaires, sous la conduite de l’un des néphrologues et avec la présence d’IDE, de la diététicienne, de la psychologue me paraît donc une urgente nécessité.

 

3)    La mise en place de réunions institutionnelles

 

L’une des particularités des insuffisants rénaux chroniques est qu’ils souffrent généralement de pluri-pathologies. De plus, les effets indésirables du traitement par hémodialyse sont non spécifiques impactant aussi bien l’appareil locomoteur que le système nerveux. La Clinique de X. dispose de plusieurs services et de plusieurs spécialités. Comme nous l’avons évoqué, il arrive que des patients soient hospitalisés pour d’autres pathologies tout en continuant à honorer leurs séances d’hémodialyse. La communication entre les différents services paraît cependant difficile, en particulier à cause du système d’information propre à la dialyse. L’instauration de réunions institutionnelles qui rassembleraient les différents spécialistes de la clinique pourrait grandement faciliter la transmission des informations concernant les patients entre les différents services et par conséquent améliorer la prise en charge de ces derniers.

 

4)  Instaurer une réelle prise en charge psychologique et médico-psychiatrique

 

L’insuffisance rénale chronique terminale et son traitement par hémodialyse prédisposent les malades aux états dépressifs, en particulier à la dépression sévère. Comme nous l’avons vu, il se crée un cercle vicieux dans lequel le physiologique et le psychologique s’entremêlent. Dans une approche centrée sur la maladie, la dimension psychologique est totalement occultée. Seule compte la pathologie somatique. Dans le contexte d’une maladie chronique, l’approche centrée sur le patient est désormais préconisée et l’accompagnement psychologique y tient une place importante. Pour pouvoir optimiser l’espérance de vie des malades et leur garantir un niveau de bien-être acceptable, il est indispensable que les premiers signes de décompensations psychiques puissent être décelés rapidement et pris en charge soit par psychothérapie soit, en cas de nécessité, avec l’aide d’un soutien médicamenteux.  Dans l’idéal, l’ajout d’un service psychiatrique dans l’établissement serait la meilleure solution. Mais il ne s’agit pas d’une mince affaire… La création d’un poste de psychologue clinicien au sein du service de dialyse qui serait en lien avec le secteur psychiatrique serait déjà une forte plus-value apportée à la prise en charge des patients. En se rendant régulièrement auprès des malades pendant les séances de dialyse, par son écoute, le psychologue pourrait à la fois avoir un rôle de soutien et guetter les signes avant-coureur d’une éventuelle décompensation. Il pourrait également recevoir les patients qui en font la demande en entretien dans son bureau. Enfin, en cas d’alerte, le psychologue du service pourrait diriger un malade vers un psychiatre ou un service spécialisé.

 

5)  Créer des passerelles avec des hôpitaux ou des spécialistes pour couvrir une prise en charge plus large des patients

 

Comme les insuffisants rénaux chroniques souffrent de pathologies annexes variées et qu’un établissement de santé privé ne peut pas proposer toutes les spécialités médicales, il serait intéressant de créer des relations privilégiées avec certains services hospitaliers tel que la neurologie, la psychiatrie ou encore le sommeil. Nous avons constaté que les néphrologues montraient des difficultés à rediriger leur patients vers des spécialistes externes à la clinique. Si certains accords de principes étaient formalisés au niveau de la direction, cela faciliterait sans doute la redirection des malades. L’hôpital public a bien conscience qu’il ne met pas assez de lits de dialyse à disposition des français et que les centres privés apportent une aide précieuse dans la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale. La création de passerelles formelles entre le public et le privé paraît obligatoire pour offrir une offre de soin claire et pluridisciplinaire aux malades qui n’ont pas la possibilité d’être accueillis à l’hôpital.

 

D.     S’inspirer du paradigme du rétablissement

 

Les nouveaux dispositifs de prise en charge des maladies chroniques, centrés sur le patient, montrent beaucoup de similitudes avec les nouveaux paradigmes développés en médecine psychiatrique. Pour cause, il s’agit dans les deux cas de maladies longues avec lesquels les sujets doivent composer au quotidien sur la durée. Dans le cas de l’insuffisance rénale chronique de stade 5, nous avons constaté que la détresse psychologique était d’ailleurs autant présente que la souffrance somatique. Nous avons su analyser comment le passage en hémodialyse fragilisait les patients en les plongeant dans une incapacité fonctionnelle qui engendrait une rupture sociale favorisant, à son tour, la dépression. Ce cercle vicieux entre pathologie et décrochage social est le même que celui mis en avant dans le paradigme du rétablissement qui a surtout été développé dans le cadre de la schizophrénie. Le rétablissement n’est pas systématiquement synonyme de disparition des symptômes mais plutôt de reprise en main de sa vie. Il trouve son origine dans le militantisme d’anciens usagers des institutions psychiatriques américaines, qui ont témoigné, à la première personne, de l’inefficacité et de la toxicité du système de santé, de la stigmatisation dont ils ont fait l’expérience, mais également de leur combat victorieux face à leur pathologie. Le rétablissement est un processus personnel singulier qui nécessite un changement de regard de la personne sur sa condition. Il ne faut plus voir les limitations imposées par la condition de handicapé psychique mais au contraire envisager tout ce qu’elle rend possible. Là où le statut de handicapé psychique pouvait être vécu comme dégradant ou stigmatisant, le rétablissement impose donc un retournement des valeurs. L’autodétermination, « empowerment » en anglais, est également un de ses éléments-clés. Il désigne le fait que l’usager se réapproprie son pouvoir d’agir en s’appuyant sur une restauration de son autonomie, une projection vers un futur autodéterminé et une participation aux décisions qui le concernent. Enfin, comme le concept de rétablissement renvoie à une expérience personnelle subjective, le patient rétabli dispense lui-même une aide précieuse pour les autres usagers qui traversent le processus, on le nomme pair-aidant. Il devient également une source de connaissance pour les médecins, la recherche et les accompagnants. Nous retrouvons dans l’approche par le rétablissement, plusieurs concepts que nous avons préconisé dans les paragraphes précédents : une approche centrée sur la personne, le concept de patient expert et l’importance de la dimension sociale. En s’inspirant de ce paradigme, d’autres recommandations semblent pertinentes dans la prise en charge des patients hémodialysés.

 

1)    Faire participer les patients aux décisions importantes

 

Les patients hémodialysés, terrifiés par la menace d’une mort imminente, décident de se reposer entièrement sur le corps médical. Ils se désintéressent de leur traitement et abandonnent leur pouvoir de décision aux médecins qui sont les plus à même de les maintenir en vie. Par cet acte fondateur dans la prise en charge, ils renoncent à leur pouvoir d’agir. Cette abdication est un premier pas vers cette incapacité fonctionnelle qui, sur la durée, leur sera tant préjudiciable. Dans le cas de l’insuffisance rénale chronique, la Haute Autorité de Santé recommande que toutes les décisions importantes soient prises dans des réunions de concertations avec le patient. Par exemple, la décision de suppléance, c’est à dire d’entrée en dialyse, doit être abordée en équipe pluridisciplinaire avec notamment l’accompagnement d’un psychologue. A la Clinique de X., ce cadre n’est pas respecté.

Pour favoriser une réappropriation du pouvoir d’agir des malades, il est fondamental que ces derniers puissent reprendre la main sur les décisions importantes : la suppléance et la création de la fistule artério-veineuse. Le patient doit se sentir impliqué dès le début dans la prise en charge de sa pathologie. Cette implication doit être ensuite pérennisée en donnant l’opportunité aux sujets de partager leur expertise avec l’équipe soignante.

 

2)    Favoriser une réinsertion sociale

 

Chez les patients hémodialysés, la perte du lien social est un facteur de surmortalité. Elle favorise également la dépression. Le paradigme du rétablissement préconise une réinsertion progressive des sujets atteints de psychopathologies. Cela peut démarrer par des ateliers ou des réunions d’entraide dans lesquels les malades tiennent une position active, et se poursuivre par une reprise d’activité professionnelle. Petit à petit, les individus retrouvent une place dans la collectivité, et avec elle, le pouvoir d’agir et de se projeter de nouveau dans le futur.

A la Clinique de X., les patients, souvent retraités, n’ont plus aucune activité. Leur existence se résume parfois aux séances de dialyses et à des siestes dans le canapé devant la télévision. Par le biais d’une assistante sociale ou d’une équipe spécialisée, il serait bénéfique de leur proposer d’intégrer des associations locales dans lesquels ils pourraient à nouveau retrouver des responsabilité et faire preuve d’autonomie. Au sein même de l’institution, des réunions entre patients pourraient être organisées : un temps au cours duquel ils se partageraient des conseils avisés et où les plus anciens pourraient apporter leur savoir-faire aux nouveaux venus.

Pour appuyer cette idée, deux de mes patients ont montré une améliorations dans leurs symptômes et leurs humeurs après avoir fait l’expérience d’un réengagement social. Monsieur Y. est revenu déterminé et rétabli du deuil de son cheval après son séjour dans un établissement de diététique dans lequel il avait participé à de nombreuses activités. Et Madame U., qui était pourtant hospitalisés après son AVC, avait toujours un bon moral ; sans doute parce qu’elle était constamment engagée dans des exercices de rééducation avec différents spécialistes.

 

CONCLUSION

 

Tous les entretiens cliniques recueillis dans le service d’hémodialyse de la Clinique de X. ont également valeur de témoignages d’une situation préoccupante. Après un diagnostic d’insuffisance rénale chronique de stade 3 ou supérieure qui intervient souvent brutalement, les patients sont confrontés à une réalité terrifiante : celle de la perte inéluctable d’un organe vital, les reins. Dans un court délai, dans l’attente d’une éventuelle greffe, ils devront trois fois par semaine recourir à une filtration mécanique de leur sang sous peine de mourir. Dans ce contexte, ils décident de s’en remettre aveuglément aux néphrologues dont la préoccupation principale est de combattre la maladie et ceci quoi qu’il en coûte.

L’insuffisance rénale chronique terminale et son traitement par hémodialyse s’accompagnent de leur lot de symptômes et d’effets secondaires qui sont non spécifiques : perte de poids, troubles du sommeil, troubles musculaires et fatigue pour ne citer qu’eux. Ces souffrances peuvent être traitées mais sont du ressort de différentes spécialités médicales. Si ce n’est pas le cas, elles engendrent de la fatigue, une perte de mobilité et de performance physique, et une surmortalité. Parallèlement, les patients se retrouvent submergés par une intense souffrance psychique. Leur diagnostic, la néphrectomie et la création de la fistule artério-veineuse ont souvent été vécu comme des traumatismes qui les ont placé dans une position de mort-vivants au corps mutilé. Les patients hémodialysés se sentent impuissants et coupables. Assez rapidement, bien aidé par la fatigue et la perte de mobilité, ils se retrouvent dans une incapacité fonctionnelle morbide qui les place en position de totale dépendance vis-à-vis de leurs aidants et des soignants. A la Clinique de X., dans une démarche clinique centrée sur la maladie, cette détresse psychologique des patients ne peut pas être entendue. Dans la majeure partie des cas, ces malades sombrent dans la dépression.

La Clinique de X. est un établissement de santé privé qui, comme toute entreprise, a pour vocation première le profit. En mettant à disposition des malades un centre de dialyse, elle rend service à la collectivité car les capacités d’accueil dans le public sont nettement insuffisantes. Mais, elle ne dispose pas d’une offre de soins suffisante pour pouvoir prendre en charge l’intégralité des symptômes somatiques et psychologiques des patients en insuffisance rénale chronique terminale traités par hémodialyse. L’établissement respecte au minimum les recommandations de la Haute Autorité de Santé qui sont également centrées sur la prévention et la maladie. Pour rappel, aucun indicateur de contrôle de la prise en charge des patients hémodialysés n’interroge l’aspect psychologique.

Au moment d’écrire cette conclusion, le hasard de la vie a fait que je rencontre une personne qui avait travaillé un été dans le service de dialyse de l’hôpital de Y. . Sans influencer sa réponse, je lui ai simplement demandé le ressenti de son expérience. A ma grande surprise, elle m’a décrit exactement la même situation qu’à la Clinique de X. : une service localisé en sous-sol d’une tristesse infini, des infirmiers et des aides-soignants sans empathie qui se consacrent exclusivement aux machines, et des patients dans une situation précaire.

A la lumière de ce témoignage de dernière minute, il paraît urgent de repenser et de structurer la prise en charge des patients hémodialysés à l’échelle nationale. Cette prise en charge doit impérativement être centrée sur le patient pour lui permettre de conserver son pouvoir d’agir, sa détermination. Les dimensions sociales et psychologiques doivent avoir un rôle de premier plan. Enfin, la prise en charge doit obligatoirement être pluridisciplinaire au sens large.



BIBLIOGRAPHIE (par ordre alphabétique)

 

Álvarez-Villarreal, M., Velarde-García, J. F., Chocarro-Gonzalez, L., Pérez-Corrales, J., Gueita-Rodriguez, J., & Palacios-Ceña, D. (2019). Body Changes and Decreased Sexual Drive after Dialysis: A Qualitative Study on the Experiences of Women at an Ambulatory Dialysis Unit in Spain. International Journal of Environmental Research and Public Health16(17), 3086. https://doi.org/10.3390/ijerph16173086

 

American Psychiatric Association. (2022). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Text Revision Dsm-5-tr (5th ed.). Amer Psychiatric Pub Inc.

 

Asséo, R. (2011). Tours et détours de la culpabilité en psychosomatique. Revue française de psychosomatique, 39, 9-20. https://doi-org.ezproxy.u-paris.fr/10.3917/rfps.039.0009

 

Bossola, M., di Stasio, E., Monteburini, T., Parodi, E., Ippoliti, F., Bonomini, M., Santarelli, S., Eugenio Nebiolo, P., Sirolli, V., & Cenerelli, S. (2020). Intensity, Duration, and Frequency of Post‐Dialysis Fatigue in Patients on Chronic Haemodialysis. Journal of Renal Care46(2), 115–123. https://doi.org/10.1111/jorc.12315

 

Bossola, M., Vulpio, C., & Tazza, L. (2011). Fatigue in Chronic Dialysis Patients. Seminars in Dialysis24(5), 550–555. https://doi.org/10.1111/j.1525-139x.2011.00956.x

 

Brunn, M. & Chevreul, K. (2013). Prise en charge des patients atteints de maladies chroniques. Concepts, évaluations et enseignements internationaux. Santé Publique, 25, 87-94. https://doi.org/10.3917/spub.131.0087.

 

Cheng, H. T., Ho, M. C., & Hung, K. Y. (2018). Affective and cognitive rather than somatic symptoms of depression predict 3-year mortality in patients on chronic hemodialysis. Scientific Reports8(1). https://doi.org/10.1038/s41598-018-24267-5

 

Cupa, D. (2002). Pour une écoute plurielle. Dans : Dominique Cupa éd., Psychologie en néphrologie (pp. 9-16). Les Ulis: EDP Sciences. https://doi.org/10.3917/edk.cupa.2002.01.0009″

 

Farrokhi F, Abedi N, Beyene J et al. (2014). Association between depression and mortality in patients receiving long-term dialysis: a systematic review and meta-analysis. Am. J. Kidney Dis. 2014; 63: 623–35.

 

Freud, S. (2017). Deuil et mélancolie. IN PRESS.

 

Freud S. (1926d [1925]), Inhibition symptôme et angoisse, trad. M. Tort, Paris, puf, 1951, 1968. 

 

Fuchs, T. (2016). Dépression, inter-corporéité et inter-affectivité. Alter24, 197–210. https://doi.org/10.4000/alter.432.

 

Gigli, G. (2004). Restless legs syndrome in end-stage renal disease. Sleep Medicine, 5(3), 309–315. https://doi.org/10.1016/j.sleep.2004.01.014.

 

Guex, G.(1950) Le syndrome d’abandon (La névrose d’abandon). Paris,  PUF.

 

Haute autorité de santé. (2007, Juin). Éducation thérapeutique du patient Définition, finalités et organisation. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/etp_-_definition_finalites_-_recommandations_juin_2007.pdf.

 

Haute autorité de santé. (2015, Juin). Démarche centrée sur le patient : information, conseil, éducation thérapeutique, suivi. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2040144/fr/demarche-centree-sur-le-patient-information-conseil-education-therapeutique-suivi.

 

Haute autorité de santé. (2017, September). Dialyse péritonéale et hémodialyse : informations comparatives. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-09/tableau_comparatif_modes_suppleance_renale.pdf.

 

Haute autorité de santé. (2017). Résultats des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins Prise en charge des patients hémodialysés chroniques. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-12/rapport_dialyse_2017.pdf.

 

Haba-Rubio, J., de Seigneux, S., & Heinzer, R. (2012). Troubles du sommeil et maladie rénale chronique. Néphrologie & Thérapeutique, 8(2), 74–80. https://doi.org/10.1016/j.nephro.2011.07.408.

 

Insuffisance rénale chronique – symptômes, causes, traitements et prévention. (2020, March 26). VIDAL. https://www.vidal.fr/maladies/reins-voies-urinaires/insuffisance-renale-chronique.html.

 

Koch, B. C.,  Nagtegaal, J.E.,  Kerkhof, G. A., Wee, P.M. (2009) Circadian sleep-wake rhythm disturbances in end-stage renal disease. Nat Rev Nephrol, 5 (7),  407-416.

 

Lee, J., Kim, Y. C., Kwon, S., Li, L., Oh, S., Kim, D. H., An, J. N., Cho, J. H., Kim, D. K., Kim, Y. L., Oh, Y. K., Lim, C. S., Kim, Y. S., & Lee, J. P. (2020). Impact of health-related quality of life on survival after dialysis initiation: a prospective cohort study in Korea. Kidney Research and Clinical Practice39(4), 426–440. https://doi.org/10.23876/j.krcp.20.065.

 

Lew-Starowicz, M., & Gellert, R., (2009). The sexuality and quality of life of hemodialyzed patients – A multicen- ter study. Journal of Sex Medicine, 6, 1062-1071.

 

Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, https://www.legifrance.gouv.fr.

 

Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, https://www.legifrance.gouv.fr .

 

Ma, T. K. W., & Li, P. K. T. (2016). Depression in dialysis patients. Nephrology21(8), 639–646. https://doi.org/10.1111/nep.12742

 

Merlino, G., Piani, A., Dolso, P., Adorati, M., Cancelli, I., Valente, M., & Gigli, G. L. (2005). Sleep disorders in patients with end-stage renal disease undergoing dialysis therapy. Nephrology Dialysis Transplantation21(1), 184–190. https://doi.org/10.1093/ndt/gfi144.

 

Moorthi, R. N., & Latham-Mintus, K. (2019). Social isolation in chronic kidney disease and the role of mobility limitation. Clinical Kidney Journal12(4), 602–610. https://doi.org/10.1093/ckj/sfy134.

 

Özgür, A., & Hayıt, H. (2021). Evaluation of Erectile Function in Patients Undergoing Hemodialysis. Journal of Urological Surgery8(3), 198–201. https://doi.org/10.4274/jus.galenos.2021.2020.0036.

 

Palmer, S., Vecchio, M., Craig, J. C., Tonelli, M., Johnson, D. W., Nicolucci, A., Pellegrini, F., Saglimbene, V., Logroscino, G., Fishbane, S., & Strippoli, G. F. (2013). Prevalence of depression in chronic kidney disease: systematic review and meta-analysis of observational studies. Kidney International84(1), 179–191. https://doi.org/10.1038/ki.2013.77

 

Parker, K.P. , Kutner, N.G.,  Bliwise, D.L.,   Bailey, J.L. , D.B. Rye (2003) Nocturnal sleep, daytime sleepiness, and quality of life in stable patients on hemodialysis. Health Qual Life Outcomes, 1 , 68. https://hqlo.biomedcentral.com/articles/10.1186/1477-7525-1-68. 

 

Perkins, M., Howard, V. J., Wadley, V. G., Crowe, M., Safford, M. M., Haley, W. E., Howard, G., & Roth, D. L. (2012). Caregiving Strain and All-Cause Mortality: Evidence From the REGARDS Study. The Journals of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences68(4), 504–512. https://doi.org/10.1093/geronb/gbs084

 

Rapport de l’OMS-Europe, publié en 1996, Therapeutic Patient Education – Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the field of Chronic Disease, traduit en français en 1998. https://apps.who.int/iris/handle/10665/108151.

 

Riazuelo, H., Cupa, D. & Chaudoye, G. (2014). Quand la dépendance est une question de survie : pratique clinique auprès de patients dialysés. Cliniques, 8, 188-202. https://doi.org/10.3917/clini.008.0188.

 

Roshanravan, B., Robinson-Cohen, C., Patel, K. V., Ayers, E., Littman, A. J., de Boer, I. H., Ikizler, T. A., Himmelfarb, J., Katzel, L. I., Kestenbaum, B., & Seliger, S. (2013). Association between Physical Performance and All-Cause Mortality in CKD. Journal of the American Society of Nephrology24(5), 822–830. https://doi.org/10.1681/asn.2012070702.

 

Schulz, R., & Beach, S. R. (1999). Caregiving as a risk factor for mortality: the Caregiver Health Effects Study. JAMA282(23), 2215–2219. https://doi.org/10.1001/jama.282.23.2215

 

Speyer, E., Chrifi Alaoui, A., Legrand, K., Frimat, L., Ayav, C., & Stengel, B. (2019). Prévalence des symptômes dans la maladie rénale chronique et association avec la qualité de vie. Néphrologie & Thérapeutique15(5), 273. https://doi.org/10.1016/j.nephro.2019.07.030.

 

Surugue, C. (2010). L’approche psychosomatique du patient dialysé. Psychologie et comportements. dumas-00903449

 

Tong, A., Sainsbury, P., Chadban, S., Walker, R. G., Harris, D. C., Carter, S. M., Hall, B., Hawley, C., & Craig, J. C. (2009). Patients’ Experiences and Perspectives of Living With CKD. American Journal of Kidney Diseases53(4), 689–700. https://doi.org/10.1053/j.ajkd.2008.10.050

 

Unruh, M. L., Sanders, M. H., Redline, S., Piraino, B. M., Umans, J. G., Chami, H., Budhiraja, R., Punjabi, N. M., Buysse, D., & Newman, A. B. (2008). Subjective and Objective Sleep Quality in Patients on Conventional Thrice-Weekly Hemodialysis: Comparison With Matched Controls From the Sleep Heart Health Study. American Journal of Kidney Diseases52(2), 305–313. https://doi.org/10.1053/j.ajkd.2008.04.019.

 

Yokoyama, Y., Suzukamo, Y., Hotta, O., Yamazaki, S., Kawaguchi, T., Hasegawa, T., Chiba, S., Moriya, T., Abe, E., Sasaki, S., Haga, M., & Fukuhara, S. (2009). Dialysis staff encouragement and fluid control adherence in patients on hemodialysis. Nephrology nursing journal : journal of the American Nephrology Nurses’ Association36(3), 289–297.



[1] Insuffisance rénale chronique – symptômes, causes, traitements et prévention. (2020, March 26). VIDAL.

[2] Haute autorité de santé. (2017, Septembre). Dialyse péritonéale et hémodialyse : informations comparatives

[3] Speyer, E., Chrifi Alaoui, A., Legrand, K., Frimat, L., Ayav, C., & Stengel, B. (2019). Prévalence des symptômes dans la maladie rénale chronique et association avec la qualité de vie. Néphrologie & Thérapeutique15(5), 273.

[4] Haba-Rubio, J., de Seigneux, S., & Heinzer, R. (2012). Troubles du sommeil et maladie rénale chronique. Néphrologie & Thérapeutique, 8(2), 74–80.

[5] Parker, K.P. , Kutner, N.G.,  Bliwise, D.L.,   Bailey, J.L. , D.B. Rye (2003) Nocturnal sleep, daytime sleepiness, and quality of life in stable patients on hemodialysis. Health Qual Life Outcomes, 1 , 68.

[6] Merlino, G., Piani, A., Dolso, P., Adorati, M., Cancelli, I., Valente, M., & Gigli, G. L. (2005). Sleep disorders in patients with end-stage renal disease undergoing dialysis therapy. Nephrology Dialysis Transplantation21(1), 184–190.

[7] Unruh, M. L., Sanders, M. H., Redline, S., Piraino, B. M., Umans, J. G., Chami, H., Budhiraja, R., Punjabi, N. M., Buysse, D., & Newman, A. B. (2008). Subjective and Objective Sleep Quality in Patients on Conventional Thrice-Weekly Hemodialysis: Comparison With Matched Controls From the Sleep Heart Health Study. American Journal of Kidney Diseases52(2), 305–313.

[8] Koch, B. C.,  Nagtegaal, J.E.,  Kerkhof, G. A., Wee, P.M. (2009) Circadian sleep-wake rhythm disturbances in end-stage renal disease. Nat Rev Nephrol, 5 (7),  407-416.

[9] GIGLI, G. (2004). Restless legs syndrome in end-stage renal disease. Sleep Medicine, 5(3), 309–315.

[10] Roshanravan, B., Robinson-Cohen, C., Patel, K. V., Ayers, E., Littman, A. J., de Boer, I. H., Ikizler, T. A., Himmelfarb, J., Katzel, L. I., Kestenbaum, B., & Seliger, S. (2013). Association between Physical Performance and All-Cause Mortality in CKD. Journal of the American Society of Nephrology24(5), 822–830.

[11] Bossola, M., di Stasio, E., Monteburini, T., Parodi, E., Ippoliti, F., Bonomini, M., Santarelli, S., Eugenio Nebiolo, P., Sirolli, V., & Cenerelli, S. (2020). Intensity, Duration, and Frequency of Post‐Dialysis Fatigue in Patients on Chronic Haemodialysis. Journal of Renal Care46(2), 115–123.

[12] Bossola, M., Vulpio, C., & Tazza, L. (2011). Fatigue in Chronic Dialysis Patients. Seminars in Dialysis24(5), 550–555.

[13] Özgür, A., & Hayıt, H. (2021). Evaluation of Erectile Function in Patients Undergoing Hemodialysis. Journal of Urological Surgery8(3), 198–201. https://doi.org/10.4274/jus.galenos.2021.2020.0036

[14] Álvarez-Villarreal, M., Velarde-García, J. F., Chocarro-Gonzalez, L., Pérez-Corrales, J., Gueita-Rodriguez, J., & Palacios-Ceña, D. (2019). Body Changes and Decreased Sexual Drive after Dialysis: A Qualitative Study on the Experiences of Women at an Ambulatory Dialysis Unit in Spain. International Journal of Environmental Research and Public Health16(17), 3086.

[15] Tong, A., Sainsbury, P., Chadban, S., Walker, R. G., Harris, D. C., Carter, S. M., Hall, B., Hawley, C., & Craig, J. C. (2009). Patients’ Experiences and Perspectives of Living With CKD. American Journal of Kidney Diseases53(4), 689–700.

[16] Cupa, D. (2002). Pour une écoute plurielle. Dans : Dominique Cupa éd., Psychologie en néphrologie (pp. 9-16). Les Ulis: EDP Sciences. 

[17] Schulz, R., & Beach, S. R. (1999). Caregiving as a risk factor for mortality: the Caregiver Health Effects Study. JAMA282(23), 2215–2219.

[18] Perkins, M., Howard, V. J., Wadley, V. G., Crowe, M., Safford, M. M., Haley, W. E., Howard, G., & Roth, D. L. (2012). Caregiving Strain and All-Cause Mortality: Evidence From the REGARDS Study. The Journals of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences68(4), 504–512.

[19] Freud, S. (2017). Deuil et mélancolie. IN PRESS.

[20] Freud S. (1926d [1925]), Inhibition symptôme et angoisse, trad. M. Tort, Paris, puf, 1951, 1968. 

[21] Guex, G.(1950) Le syndrome d’abandon (La névrose d’abandon). Paris,  PUF.

[22] American Psychiatric Association. (2022). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Text Revision Dsm-5-tr (5th ed.). Amer Psychiatric Pub Inc.

[23] Asséo, R. (2011) Tours et détours de la culpabilité en psychosomatique. Revue française de psychosomatique, 39, 9-20. 

[24] Surugue, C. (2010). L’approche psychosomatique du patient dialysé. Psychologie et comportements. 

[25] Lew-Starowicz, M., & Gellert, R., (2009). The sexuality and quality of life of hemodialyzed patients – A multicen- ter study. Journal of Sex Medicine, 6, 1062-1071.

[26] Palmer, S., Vecchio, M., Craig, J. C., Tonelli, M., Johnson, D. W., Nicolucci, A., Pellegrini, F., Saglimbene, V., Logroscino, G., Fishbane, S., & Strippoli, G. F. (2013). Prevalence of depression in chronic kidney disease: systematic review and meta-analysis of observational studies. Kidney International, 84(1), 179–191.

[27] Ma, T. K. W., & Li, P. K. T. (2016). Depression in dialysis patients. Nephrology21(8), 639–646.

[28] Farrokhi F, Abedi N, Beyene J et al. Association between depression and mortality in patients receiving long-term dialysis: a systematic review and meta-analysis. Am. J. Kidney Dis. 2014; 63: 623–35.

[29] Cheng, H. T., Ho, M. C., & Hung, K. Y. (2018). Affective and cognitive rather than somatic symptoms of depression predict 3-year mortality in patients on chronic hemodialysis. Scientific Reports8(1).

[30] Haute autorité de santé. (2017). Résultats des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins Prise en charge des patients hémodialysés chroniques.

[31] Riazuelo, H., Cupa, D. & Chaudoye, G. (2014). Quand la dépendance est une question de survie : pratique clinique auprès de patients dialysés. Cliniques, 8, 188-202. 

[32] Fuchs, T. (2016). Dépression, inter-corporéité et inter-affectivité. Alter24, 197–210.

[33] Moorthi, R. N., & Latham-Mintus, K. (2019). Social isolation in chronic kidney disease and the role of mobility limitation. Clinical Kidney Journal12(4), 602–610.

[34] Lee, J., Kim, Y. C., Kwon, S., Li, L., Oh, S., Kim, D. H., An, J. N., Cho, J. H., Kim, D. K., Kim, Y. L., Oh, Y. K., Lim, C. S., Kim, Y. S., & Lee, J. P. (2020). Impact of health-related quality of life on survival after dialysis initiation: a prospective cohort study in Korea. Kidney Research and Clinical Practice39(4), 4

[35] Yokoyama, Y., Suzukamo, Y., Hotta, O., Yamazaki, S., Kawaguchi, T., Hasegawa, T., Chiba, S., Moriya, T., Abe, E., Sasaki, S., Haga, M., & Fukuhara, S. (2009). Dialysis staff encouragement and fluid control adherence in patients on hemodialysis. Nephrology nursing journal : journal of the American Nephrology Nurses’ Association36(3), 289–297.

[36] Haute autorité de santé. (2015, Juin). Démarche centrée sur le patient : information, conseil, éducation thérapeutique, suivi.

[37] Rapport de l’OMS-Europe, publié en 1996, Therapeutic Patient Education – Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the field of Chronic Disease, traduit en français en 1998.

[38] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

[39] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

[40] Haute autorité de santé. (2007, Juin). Éducation thérapeutique du patient Définition, finalités et organisation.

[41] Brunn, M. & Chevreul, K. (2013). Prise en charge des patients atteints de maladies chroniques. Concepts, évaluations et enseignements internationaux. Santé Publique, 25, 87-94.